Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/134

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prix, ce que nous avons acheté, quand même ce serait honnête. Nous nous sommes embarqués dans une entreprise folle, et nous y avons échoué. Le seul espoir qui nous reste, la seule fin à laquelle nous devions aspirer, c’est de quitter pour jamais ce lieu et de nous en retourner en Angleterre. Comment ? par quels moyens ? Il faut y retourner, Mark, voilà tout.

– Oui, voilà tout, monsieur ; rien que cela ! répondit Mark en appuyant sur les mots d’une manière significative.

– De ce côté-ci de l’eau, dit Martin, nous n’avons qu’un ami qui puisse nous assister ; cet ami, c’est M. Bevan.

– J’ai songé à lui pendant que vous étiez malade, dit Mark.

– Si ce n’était le temps qu’il y faudrait perdre, j’écrirais même à mon grand-père, et je le supplierais de nous envoyer l’argent nécessaire pour nous tirer de la trappe dans laquelle nous nous sommes si cruellement laissé prendre. Tenterai-je d’abord un effort auprès de M. Bevan ?

– Je suis de cet avis, dit Mark. C’est un aimable gentleman.

– Le peu d’objets que nous avons achetés ici, et qui nous ont dévoré le reste de notre argent, produiraient une certaine somme s’ils étaient vendus, et nous pourrions en remettre immédiatement le prix à M. Bevan. Mais le diable, c’est que nous ne pourrons pas les vendre ici.

– Ici, dit M. Tapley secouant la tête d’un air chagrin, il n’y a à acheter que des cadavres… et des cochons.

– Écrirai-je en conséquence à M. Bevan en ne lui demandant d’argent que ce qu’il nous en faudra tout juste pour nous mettre à même de gagner, par la voie la moins coûteuse, New-York ou tout autre port où nous puissions espérer de prendre passage pour notre pays, en nous engageant à quelque titre que ce soit à bord ? Nous lui expliquerions en même temps dans quel embarras nous nous trouvons, et lui promettrions de faire tout notre possible pour le rembourser dès notre arrivée en Angleterre, dussé-je recourir pour cela à mon grand-père.

– Assurément, répondit Mark ; tout ce que nous risquons c’est qu’il refuse, et il peut aussi ne pas refuser. Si cela vous était égal, vous pourriez essayer, monsieur…

– Égal ! s’écria Martin. C’est ma faute si nous sommes ici, et je ferai tout pour en sortir. J’ai assez de chagrin de songer au passé. Si je vous avais consulté plus tôt, Mark, jamais nous ne fussions venus ici, j’en suis certain. »