Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/135

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Cette déclaration surprit beaucoup M. Tapley : toutefois il protesta avec une grande chaleur, disant qu’ils seraient venus tout de même à Éden, et que pour lui il s’était déterminé à y aller sitôt qu’il en avait entendu parler.

Martin lui donna alors lecture de la lettre à M. Bevan, qu’il avait préparée d’avance. Cette lettre était écrite avec franchise et intelligence ; elle établissait la situation sans la moindre réserve ; elle décrivait toutes les souffrances que les deux voyageurs avaient endurées, et exposait leur demande en termes modestes, mais positifs. Mark l’approuva complètement. Ils résolurent de l’envoyer par le premier paquebot qui viendrait à passer et s’arrêterait à Éden pour y prendre du bois, qu’on y trouvait en quantité considérable. Ne sachant à quelle adresse envoyer cette lettre à M. Bevan, Martin se détermina à la mettre sous enveloppe pour la recommander aux soins du fameux M. Norris, de New-York, avec prière sur l’enveloppe de la faire passer sans retard à M. Bevan.

Plus d’une semaine s’écoula avant qu’un bateau parût ; mais enfin, un matin, Martin et Mark furent éveillés de très-bonne heure par le ronflement à haute pression de l’Ésaü Slodge, appelé ainsi du nom d’un des hommes « les plus remarquables » du pays, lequel avait été très-éminent quelque part. Ayant couru en toute hâte au débarcadère, ils montèrent à bord ; et comme ils attendaient ensuite avec anxiété pour voir partir le bateau, ils s’arrêtèrent sur le passavant ; négligence qui fit crier au capitaine de l’Ésaü Slodge « qu’il voulait être passé au sas comme de la farine et haché menu comme chair à pâté s’il ne leur faisait pas faire un plongeon dans le liquide ; qu’ils eussent à débarrasser le plancher, et plus vite que ça ! … » Autrement dit, pour expliquer la métaphore, qu’ils les ferait jeter dans la rivière.

Selon toute vraisemblance, ils ne devaient pas recevoir de réponse avant huit ou dix semaines au plus tôt. En attendant, ils consacrèrent le peu de forces qu’ils avaient à travailler à l’amélioration de leur terrain, et à en assainir une partie pour la préparer à un emploi utile. Tout mauvais fermiers qu’ils étaient, ils en savaient encore plus long que leurs voisins : Mark, en effet, possédait en agriculture quelques notions qu’il communiqua à Martin ; tandis que les autres colons qui restaient sur le sol marécageux (une simple poignée d’hommes rongés par la maladie) semblaient être venus là avec l’idée que l’agriculture était une science innée chez l’hu-