Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/136

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manité entière. Martin et Mark s’assistaient mutuellement, à leur manière, dans ces épreuves et dans toutes les autres ; mais ils apportaient à leur tâche aussi peu d’espérance et autant de tristesse qu’une bande de convicts dans une colonie pénitentiaire.

Souvent, la nuit, quand Mark et Martin étaient seuls et couchés en attendant le sommeil, ils se mettaient à parler de la patrie, des lieux qui leur étaient familiers, des maisons, des routes et des gens qu’ils avaient connus ; parfois avec une vive espérance de les revoir, et parfois aussi avec un calme sombre, comme si cette espérance était morte. C’était pour Mark Tapley un grand sujet d’étonnement de trouver, à travers ces diverses conversations, un singulier changement chez Martin.

« Je ne sais plus qu’en croire, pensait-il une nuit ; il n’est pas ce que j’avais supposé. Il en est venu à ne plus penser à lui-même. J’ai envie de le mettre à l’épreuve. Dormez-vous, monsieur ?

– Non, Mark.

– Songez-vous au pays, monsieur ?

– Oui, Mark.

– J’en faisais autant, monsieur. Je me demandais si M. Pinch et M. Pecksniff étaient toujours bien ensemble.

– Pauvre Tom ! dit Martin d’une voix pensive.

– Une pauvre tête, monsieur, fit observer Tapley. Il touche de l’orgue pour rien, monsieur. Il ne prend aucun soin de lui-même.

– Je voudrais bien qu’il en prît davantage, dit Martin : je ne sais pas pourquoi, j’ai peut-être tort, car peut-être alors ne l’aimerions-nous pas à moitié autant.

– Il gagne à être connu, monsieur, insinua Mark.

– Oui, dit Martin après un court silence. Je le sais bien, Mark. »

Il y avait dans sa parole un tel accent de regret, que son compagnon crut devoir abandonner ce thème et resta silencieux à son tour durant quelque temps, jusqu’à ce qu’une autre idée lui fût venue.

« Ah ! monsieur ! … dit Mark avec un soupir. Mon Dieu ! vous avez risqué gros jeu pour l’amour d’une jeune dame ! … »

Martin répondit avec tant d’empressement et d’énergie, que pour cela il s’assit sur son séant dans son lit :

« Je vous dirai, Mark, que je n’en suis pas du tout certain.