Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/15

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et l’espace, que ceux qui le voyaient n’en pouvaient croire leurs yeux, sans un renversement de toutes les lois naturelles. C’était pourtant bien le petit Bailey qu’ils voyaient arpenter les trottoirs riches et palpables de Holborn-Hill ; et cependant ses clignements d’yeux, ses pensées, ses actes, ses propos, annonçaient un vieux routier. C’était comme un mystère des anciens jours dans une jeune peau. Créature inexplicable : espèce de sphinx en culotte courte et bottes à revers. Pour le barbier, il n’y avait que deux partis à prendre : ou perdre la tête, ou accepter Bailey tel qu’il était. Il s’arrêta sagement à ce dernier parti.

M. Bailey fut assez bon pour continuer à lui tenir compagnie et à le régaler, en chemin, d’une conversation intéressante sur divers sujets agréables ; entre autres, sur le mérite comparatif, au point de vue général, des chevaux qui ont des bas blancs et de ceux qui n’en ont pas. Quant au genre de queue préférable, M. Bailey avait à cet égard ses opinions particulières ; il les exposait volontiers, mais en priant ses amis de ne point se laisser influencer par son jugement, sachant bien qu’il avait le malheur de différer d’avis avec quelques hautes autorités. Il fit accepter à M. Sweedlepipe un verre de certaine liqueur de sa façon, inventée, lui dit-il, par un membre du Jockey-Club. Et comme en ce moment ils touchaient presque au but de la course du barbier, Bailey fit observer à Paul qu’ayant une heure à dépenser, et connaissant les Jonas, il ne serait pas fâché, sauf sa permission, d’être présenté à Mme Gamp.

Paul frappa à la porte de Jonas Chuzzlewit. Justement ce fut Mme Gamp qui vint ouvrir ; circonstance dont le barbier profita pour mettre en rapport ces deux personnages éminents. Dans la double spécialité de la profession exercée par Mme Gamp, il y avait ceci de bon que la brave veuve s’intéressait également à la jeunesse et à la vieillesse. Elle accueillit donc M. Bailey avec infiniment de cordialité.

« C’est bien aimable à vous, dit-elle à son propriétaire, d’être venu et d’avoir amené en même temps un si charmant garçon. Mais je crains que vous ne soyez obligé d’entrer, car le jeune couple n’a pas encore paru sur l’horizon.

– Ils sont en retard, n’est-ce pas ? demanda le propriétaire quand Mme Gamp les eut fait descendre à la cuisine.

– Oui, monsieur, pour des gens qui doivent venir sur les ailes de l’Amour, » dit Mme Gamp.