Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/170

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vaient admettre que ce chapeau à l’épreuve de tout accident fût heurté ou enlevé par le vent. Et le conducteur donc ! soixante-dix milles par jour au grand air étaient écrits jusque dans ses favoris ; ses manières étaient un galop, sa conversation un grand trot. Cet homme était une diligence vivante lancée à fond de train, du haut d’une colline, sur une route barrée par un péage : l’image du mouvement perpétuel. Une charrette n’eût pu rouler lentement avec un pareil conducteur dessus, et son bugle à piston, qui plus est.

« Voilà bien les signes précurseurs de Londres, » pensait Tom, tandis qu’il était assis sur le siège et regardait autour de lui. Un tel cocher, un tel conducteur, n’auraient jamais existé entre Salisbury et une autre ville. Ce n’était point là une de vos pataches qui s’en vont tout droit au pas de leurs deux chevaux ; c’était une diligence crâne et coquette, un mauvais sujet de diligence de Londres, trottant la nuit, dormant le jour, menant une vie du diable. Elle ne s’occupait pas plus de Salisbury que si Salisbury n’avait été qu’un humble hameau. Elle passait bruyamment le long des plus belles rues, jetait un défi à la cathédrale, tournait brusquement aux angles les plus dangereux, coupait par-ci, enfilait par-là, faisant tout ranger devant elle, et s’élançait le long de la grande route dans la campagne tout droit devant elle, jetant avec son cornet à piston une fanfare éclatante, comme un dernier défi d’adieu.

La soirée était charmante, douce et brillante à la fois. Tom, même sous le poids du souci moral que lui infligeaient l’immensité et l’incertitude de Londres, ne put se soustraire à l’agréable sensation du mouvement rapide qui l’emportait à travers un air bienfaisant. Les quatre chevaux gris pommelé couraient de toutes leurs jambes, comme si le grand air leur plaisait autant qu’à Tom Pinch ; le bugle à piston n’était pas moins animé que les chevaux ; le cocher de temps en temps élevait la voix à l’unisson ; les roues joyeuses faisaient le faux bourdon ; le cuivre des harnais formait tout un orchestre de grelots, et cet ensemble tintant, claquant, raclant, résonnant doucement, n’était, depuis les boucles des doubles guides de cuir jusqu’à la poignée du coffre de derrière, qu’un vaste instrument de musique.

Yoho ! … arrière les haies, les portes et les arbres ; arrière les cottages et les granges, et les gens qui s’en retournent chez eux après le travail. Yoho ! arrière les voitures tirées par des ânes et qui se détournent bien vite dans le fossé, et les