Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/172

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— Vous écrirez lorsque vous serez établi, n’est-ce pas, monsieur Pinch ?

– Quand je serai établi ! s’écria Tom, qui ouvrit involontairement de grands yeux. Oh ! oui, j’écrirai quand je serai établi. Peut-être ferai-je mieux d’écrire auparavant, parce qu’il se pourrait bien qu’il me faille un peu de temps pour m’établir, n’ayant pas beaucoup d’argent et ne possédant qu’un ami. Je porterai mes amitiés à mon camarade, soit dit en passant. Vous étiez en bons termes avec M. Westlock, vous savez. Adieu !

– Adieu ! dit mistress Lupin, qui lui remit à la hâte un panier d’où sortait le col d’une longue bouteille. Prenez ceci. Adieu !

– Est-ce que vous désirez que je porte cela à Londres pour vous ? » lui cria Tom.

Mistress Lupin faisait déjà tourner sa carriole.

« Non, non, dit-elle. C’est seulement quelque petite chose pour vous rafraîchir en route. Jean, placez-vous vite et fouettez. C’est bien. Adieu ! »

Elle était à un quart de mille avant que Tom se fût remis ; alors il lui faisait gaiement signe de la main, et elle aussi.

« Et je ne reviendrai plus, pensa Tom en écarquillant ses yeux pour jeter de ce côté un dernier regard, je ne reviendrai plus à ce poteau où je me suis arrêté si souvent pour voir passer cette diligence ou pour me séparer là de tant de compagnons ! J’avais coutume de la comparer à un monstre énorme qui apparaissait, à certaines époques, pour emporter mes amis à travers le monde. Et maintenant c’est moi qu’elle emporte, moi qui vais chercher fortune, Dieu sait où et comment ! »

Tom devint tout mélancolique en se revoyant dans le passé descendre la ruelle, puis la remonter pour revenir chez Pecksniff ; et la mélancolie lui fit abaisser les yeux sur le panier qui était sur ses genoux et qu’il avait un moment oublié.

« C’est bien la meilleure et la plus prévoyante créature qu’il y ait au monde, pensa-t-il. Maintenant, je vois bien qu’elle avait recommandé en particulier à son valet de ne pas me regarder, afin de m’empêcher de lui jeter un schelling ! Pendant tout le temps, j’ai tenu la pièce prête, et pas une seule fois il ne s’est tourné de mon côté, tandis que naturellement ce garçon (que je connais bien) n’aurait fait autre chose que de me sourire et de me regarder en face. Sur ma parole, la bonté de tous ces gens-là pour moi me va au cœur. »