Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de chasseur. Vous allez vous arranger comme vous pourrez, Tom, et nous prendrons notre revanche au dîner. Prenez donc du sucre ; ce n’est pas ici comme chez Pecksniff. Ah ! ah ! ah ! Comment va-t-il, ce Pecksniff ? Quand êtes-vous arrivé à Londres ? Allons, Tom, attaquez quelque chose. Il n’y a sur la table que des débris du dîner, mais les morceaux en sont bons. Voici une terrine de hure de sanglier ; goûtez-moi ça, Tom ! Commencez par où vous voudrez. Quel bon vieux gaillard vous faites ! Je suis ravi de vous voir. »

Tout en prononçant ces paroles avec une vive émotion, John allait et venait sans cesse de la chambre au cabinet voisin, apportant toute sorte de choses dans des pots, tirant de sa boîte à thé des quantités extraordinaires de la feuille chinoise, laissant tomber des petits pains dans ses bottes, versant de l’eau bouillante sur le beurre, faisant une foule de méprises de ce genre, sans se déconcerter le moins du monde.

« Là ! dit John, s’asseyant pour la cinquantième fois et aussitôt s’élançant de nouveau pour ajouter quelque autre chose au déjeuner. Nous voilà en état d’attendre le dîner. Et maintenant, voyons donc les nouvelles, Tom. Et d’abord, comment va Pecksniff ?

– Je n’en sais rien, » répondit gravement Tom.

John Westlock posa la théière et regarda son ami d’un air d’étonnement.

« Je ne sais pas comment il va, reprit Tom ; et, sauf que je ne lui souhaite pas de mal, cela m’est indifférent. Je l’ai quitté, John. Je l’ai quitté pour jamais.

– Volontairement ?

– Non, car il m’a renvoyé. Mais je m’étais aperçu que je m’étais trompé sur son compte, et je n’aurais pu rester avec lui pour tout l’or du monde. J’ai le regret de vous avouer que vous aviez bien jugé son caractère. C’est peut-être de ma part une faiblesse ridicule, John, mais je vous assure que cette découverte m’a été très-pénible et très-amère. »

Tom n’eut pas besoin de diriger sur son ami un regard de touchant appel, comme pour conjurer doucement l’éclat de rire qui allait s’échapper de ses lèvres. John Westlock en était à cent lieues : il respectait la douleur de son ami.

« Tout cela fut un rêve de mon esprit, dit Tom, le rêve est fini. Une autre fois, je vous raconterai comment la chose est arrivée. Excusez ma folie, John. En ce moment je désire n’y plus penser et n’en pas dire un mot.