Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/179

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— Je vous jure, Tom, répliqua son ami avec une grande chaleur et après avoir gardé quelques instants le silence, qu’en vous voyant si affecté de cette séparation, j’ignore si je dois me réjouir ou m’affliger de ce que vous êtes enfin arrivé à cette découverte. Je me reproche les plaisanteries que j’ai pu, en d’autres temps, risquer sur ce sujet ; j’eusse dû être plus réservé.

– Mon cher ami, dit Tom lui tendant la main, c’est très-généreux, très-aimable à vous de m’accueillir ainsi, moi et mon chagrin ; cela me fait rougir, à la pensée que j’ai pu éprouver quelque inquiétude en venant ici. Vous ne sauriez vous imaginer de quel poids vous soulagez mon cœur. » Il ajouta, en s’armant de nouveau de son couteau et de sa fourchette, et donnant à sa physionomie une expression joyeuse : « Je m’en vais terriblement me venger de Pecksniff sur la hure de sanglier. »

L’hôte, rappelé ainsi à ses devoirs, se mit aussitôt à entasser sur l’assiette de Tom toute sorte de comestibles hétérogènes, qui juraient de se retrouver les uns à côté des autres ; Tom fit un fameux déjeuner, et la discrétion bienveillante de son ami n’y gâta rien.

« C’est parfait, dit John après avoir suivi de l’œil avec une satisfaction infinie l’ardeur gastronomique du voyageur. Maintenant, voyons nos plans. Naturellement, vous allez loger chez moi. Où est votre malle ?

– Elle est à l’auberge, dit Tom. Mais je n’avais pas l’intention de…

– Ne me dites pas que vous n’aviez pas l’intention… interrompit John Westlock. Dites-moi plutôt que vous aviez l’intention, en venant ici, mon cher Tom, de me demander mes conseils ; n’est-ce pas ?

– Certainement.

– Et de les suivre, quand je vous les aurai donnés ?

– Oui, répondit Tom en souriant, s’ils étaient bons ; et je ne doute pas qu’ils ne le soient, venant de vous.

– Très-bien. Alors, dès le début, ne soyez pas un obstiné farceur ; sinon, je fermerai boutique et ne dépenserai pas un seul de mes précieux conseils. Vous êtes mon visiteur ; je regrette seulement de n’avoir pas un orgue à vous offrir !

– Le gentleman du rez-de-chaussée et celui qui demeure au-dessus de vous ne le regretteront peut-être pas tant, répondit Tom.