Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/18

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elle tira une carte imprimée et copiée textuellement sur son enseigne. Puis elle dit à voix basse :

« Seriez-vous assez bonne, ma colombe mignonne, ma chère jeune petite dame, pour mettre ceci quelque part où vous puissiez le retrouver en cas de besoin ? Je suis avantageusement connue de plusieurs dames, et c’est ma carte. Mon nom est Gamp ; je suis Gamp de nature. Demeurant presque porte à porte, je prendrai la liberté de me présenter ici de temps en temps, et de m’informer de l’état de votre santé… et de votre esprit, mon cher poulet ! »

Puis avec d’innombrables œillades, clignements d’yeux, accès de toux, mouvements de tête, sourires et salutations, le tout pour établir le fait d’une intelligence mystérieuse et confidentielle entre elle et la jeune mariée, mistress Gamp appela la bénédiction du ciel sur la maison, et ensuite elle fit d’autres œillades, d’autres clignements, toussa, remua la tête, sourit et salua jusque hors de la chambre.

« Je le dis et je le soutiendrais, quand bien même je serais conduite en martyre sur l’échafaud, fit observer à demi-voix Mme Gamp quand elle fut au bas de l’escalier, cette jeune femme ne paraît pas très-gaie pour le quart d’heure.

– Ah ! attendez donc que vous l’entendiez rire, dit Bailey.

– Hem ! s’écria Mme Gamp avec une sorte de gémissement, j’attendrai, mon petit. »

Ils n’ajoutèrent pas un mot de plus dans la maison ; Mme Gamp mit son chapeau ; M. Sweedlepipe chargea sur ses épaules la caisse de Mme Gamp, et M. Bailey les accompagna vers Kingsgate-Street en racontant à Mme Gamp, chemin faisant, l’origine et les progrès de sa liaison avec mistress Chuzzlewit et sa sœur. Par un étrange effet de sa précocité juvénile, il s’imaginait avoir fait la conquête de mistress Gamp et se sentait très-flatté de la passion malheureuse qu’elle avait prise pour lui.

Comme la porte se fermait lourdement sur ces trois personnages, mistress Jonas se laissa tomber dans un fauteuil et sentit un étrange frisson lui courir tout le long du corps, tandis qu’elle parcourait la chambre du regard. Cette chambre était à peu près dans l’état où elle l’avait connue, mais elle paraissait plus sinistre encore. La jeune femme s’était imaginée que la chambre serait illuminée pour la recevoir.

« Cela n’est pas assez bon pour vous, je suppose ? dit Jonas suivant son regard.