Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/181

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famille qui se peint elle-même sous ses traits de « famille paisible et affectueuse » et qui désire avoir exactement une pensionnaire dans ces conditions. Mais jamais cette dame n’ira dans cette famille. Vous ne verrez non plus aucun de ces gentlemen célibataires qui demandent une chambre bien aérée avec jouissance du parloir, s’aboucher avec ces autres personnes qui vivent dans une campagne remarquable pour la salubrité de l’air et située à cinq minutes du Royal-Exchange. Jusqu’à ces lettres initiales de fugitifs éternels qui se sont sauvés de chez leurs parents, et que leurs parents supplient de revenir ; ils se gardent bien de n’en rien faire, si nous devons en juger par le nombre de fois qu’on les y invite sans succès. Il semble réellement, ajouta Tom en déposant le journal avec un soupir pensif, que tous ces gens-là aient le même plaisir à imprimer leurs peines qu’à les exhaler de vive voix, comme si c’était pour eux une source de force et de consolation que de proclamer : « J’ai besoin de telle et telle chose, et je ne puis l’obtenir, et je n’espère pas l’obtenir jamais ! »

Cette idée fit rire John Westlock, et les deux amis sortirent ensemble.

Il s’était écoulé tant d’années depuis le dernier voyage que Tom avait fait à Londres, et encore avait-il si peu vu cette ville, qu’il s’intéressait vivement à tout ce qu’il apercevait. Entre autres choses remarquables, il avait particulièrement un désir ardent de connaître ces rues dont la spécialité est d’être un coupe-gorge pour les gens de la campagne, et il fut très-désappointé de découvrir, après une demi-heure de marche, qu’on ne lui avait seulement pas volé son mouchoir dans sa poche. Mais John Westlock ayant eu soin d’inventer un filou pour lui faire plaisir, et lui ayant désigné un très-respectable étranger comme appartenant à la corporation des voleurs, Tom fut enchanté.

Son ami l’accompagna jusqu’à une courte distance de Camberwell, et l’ayant mis à même de trouver sans la moindre possibilité d’erreur la maison du riche fondeur en cuivre, il le laissa faire sa visite.

Arrivé devant le grand cordon de sonnette, Tom tira doucement la poignée. Le portier parut.

« Dites-moi, je vous prie, n’est-ce pas ici que demeure miss Pinch ? demanda Tom.

– Miss Pinch est gouvernante ici, » répondit le portier.

En même temps il toisa Tom de la tête aux pieds, comme