Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/182

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s’il eût voulu dire : « Je vous trouve un peu singulier de faire cette question ? D’où venez-vous donc ? »

« C’est bien cette jeune personne, dit Tom. C’est parfaitement cela. Est-elle à la maison ?

– Je ne sais pas du tout, répondit le portier.

– Pensez-vous que vous pourriez avoir la bonté de vous en assurer ? » dit Tom.

Il mit toute la précaution du monde à suggérer cette idée au portier, en voyant que la convenance d’une telle démarche ne se présentait point d’elle-même à l’esprit de ce fonctionnaire.

Le fait est que le portier, en répondant à l’appel de la sonnette extérieure, avait, selon l’usage, tiré le cordon de la sonnette d’avertissement à l’intérieur (car pendant qu’on y est, il n’en coûte pas plus de faire les choses dans le style aristocratique), et que les obligations de son emploi n’allaient pas plus loin. Étant payé pour ouvrir et fermer la porte et non pour fournir des explications aux étrangers, il laissa le soin de vider ce petit incident au valet de pied à aiguillettes qui, en ce moment, appelait ainsi, du haut des marches du perron :

« Holà ! par ici ! par ici, jeune homme !

– Oh ! dit Tom, courant de ce côté. Je n’avais pas remarqué qu’il y eût là quelqu’un. Dites-moi, je vous prie, miss Pinch est-elle à la maison ?

– Elle est dans la maison, » répondit le valet de pied, comme pour dire à Tom : « Mais si vous vous imaginez qu’elle est ici chez elle, vous ferez bien d’abandonner cette idée.

– Je désire la voir, s’il vous plaît, » dit Tom.

Le valet de pied était un jeune espiègle. En ce moment son attention fut attirée par le vol d’un pigeon auquel il prit un si vif intérêt, que ses yeux demeurèrent fixés sur l’oiseau jusqu’à ce qu’il eût disparu. Alors il invita Tom à entrer et l’introduisit dans un parloir.

« Pas d’nom ? » dit ce jeune homme en s’arrêtant d’un air nonchalant sur le seuil de la porte.

C’était une bonne idée : car sans autoriser l’étranger, s’il eût été d’un caractère violent, à lui appliquer une correction légitime, cela n’en montrait pas moins le peu de cas que le jeune homme faisait de l’étranger et déchargeait sa conscience du pénible remords de lui faire tort, peut-être, en se considérant comme un individu obscur et sans nom, si par hasard il se trompait dans son jugement.