Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/183

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« Annoncez son frère, s’il vous plaît, dit Tom.

– Sa mère ? dit d’un accent traînant le valet de pied.

– Son frère, répéta Tom élevant légèrement la voix. Si vous voulez bien annoncer d’abord un gentleman, avant de dire que c’est son frère, vous m’obligerez ; car elle ne m’attend pas, elle ne sait pas même que je suis à Londres, et je craindrais de lui causer un saisissement. »

Depuis longtemps le jeune homme avait cessé de prêter la moindre attention aux observations de Tom ; cependant il avait eu la bonté de rester. Il ferma la porte et disparut.

« Mon Dieu ! se dit Tom ; quelle conduite irrespectueuse et impolie ! J’espère que ces domestiques-là sont nouveaux dans la maison, et que Ruth est traitée autrement. »

Un bruit de voix qui retentissaient dans la chambre voisine interrompit ses réflexions. Ces voix semblaient engagées dans une discussion assez vive : on avait l’air de gronder sévèrement quelqu’un. Parfois elles étaient plus fortes, et alors c’était un véritable ouragan. Ce fut au milieu même d’une de ces bouffées de colère, à ce qu’il lui sembla, que le valet de pied l’annonça ; un calme subit et qui n’était rien moins que naturel, puis un morne silence, remplacèrent cette agitation et ce bruit. Tom était debout près de la fenêtre, se demandant quelle querelle domestique avait pu causer tout ce tapage, et espérant que sa sœur n’avait rien de commun avec cette scène, quand la porte s’ouvrit : Ruth parut, et se précipita dans les bras de son frère.

« Dieu me bénisse ! dit Tom, la regardant avec fierté lorsqu’ils se furent tendrement embrassés l’un l’autre, comme vous êtes changée ma chère Ruth ! J’aurais eu de la peine à vous reconnaître, mon amour, si je vous avais rencontrée autre part qu’ici, je vous assure ! Vous avez tant gagné ! ajouta Tom avec un plaisir inexprimable. Vous voilà tout à fait une femme ! Vous êtes si… ma foi ! oui… vous êtes si jolie !

– Cela vous fait plaisir à dire, Tom…

– Oh ! tout le monde le dirait comme moi, répliqua Tom en lui passant doucement la main sur les cheveux. C’est un fait réel et positif. Mais qu’est-ce que vous avez donc ? … demanda-t-il en la regardant de plus près ; comme vous avez les yeux rouges ! Vous avez pleuré.

– Non, Tom, non, je n’ai pas pleuré.

– Par exemple ! dit le frère avec force ; vous me faites un conte ! Ne me dites pas que non ; je le vois bien, moi.