Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/184

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Qu’est-ce donc, ma chérie ? Maintenant que je ne suis plus chez M. Pecksniff, et que je viens essayer la fortune et m’établir à Londres, si vous n’êtes pas heureuse ici (comme j’ai bien lieu de le craindre, car je commence à penser que vous m’avez trompé jusqu’ici avec les meilleures et les plus délicates intentions), vous ne resterez pas ici. Ah ! dame ! »

Le sang de Tom lui montait à la tête, voyez-vous ! Peut-être la hure de sanglier y était-elle pour quelque chose ; mais en tout cas le valet de pied n’y était pas étranger, et enfin la vue de sa jolie sœur affligée y était pour beaucoup. Tom eut été capable de supporter pour lui-même bien des choses : mais il était fier de sa sœur, et l’orgueil est chatouilleux. Il se mit à se dire qu’il pouvait bien y avoir plus d’un Pecksniff. Et tout à coup les milliers d’épingles et d’aiguilles qui peuvent piquer les veines d’un homme en colère lui firent sentir des démangeaisons inaccoutumées.

– Nous parlerons de cela, Tom, dit Ruth en lui donnant un nouveau baiser pour le calmer. Je crains de ne pouvoir pas rester ici.

– De ne pas pouvoir ! … répliqua Tom. Eh bien ! vous ne le pourrez pas, mon amour. Ma foi ! vous n’êtes pas réduite à la charité, sur ma parole ! »

Tom fut interrompu dans ces exclamations par le valet de pied, qui vint le prévenir que son maître désirait, avant qu’il partît, causer avec lui ainsi qu’avec miss Pinch.

« Montrez-moi le chemin, dit Tom ; je suis à lui tout de suite. »

Ils entrèrent dans la pièce voisine, d’où était parti le bruit de l’altercation. Là ils trouvèrent un gentleman entre deux âges, à la voix et au geste pompeux, et une dame également entre deux âges, avec ce qu’on pourrait appeler une figure de pompes funèbres, roide comme de l’empois et douce comme du vinaigre. Il y avait là encore la plus âgée des élèves de miss Pinch, celle que Mme Todgers, dans une visite que le lecteur peut se rappeler, avait nommée un sirop fin (pour un séraphin) ; elle pleurait et sanglotait de dépit.

« Mon frère, monsieur, dit Ruth Pinch, présentant timidement Tom.

– Oh ! s’écria le gentleman, qui examina Tom avec attention. Vous êtes bien réellement le frère de miss Pinch, je présume ? Excusez cette question : c’est que je ne vous trouve aucune ressemblance.