Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/186

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Bon Dieu ! s’écria le gentleman, parcourant la chambre d’un regard empreint de dignité, que vous dirai-je ? Voyez un peu les résultats affligeants qui naissent de la faiblesse de caractère de miss Pinch ! Quels doivent être les sentiments d’un père, quand, après avoir tant désiré (désir fréquemment exprimé par moi à miss Pinch, et je pense qu’elle n’essayera pas de le nier) que ma fille fût choisie dans ses expressions, gracieuse dans ses manières, ainsi qu’il convient à son rang social, et qu’elle sût tenir poliment à distance ses inférieurs, je la trouve, comme je l’ai fait, ce matin même, adressant à miss Pinch en personne l’épithète de mendiante ! »

La dame s’empressa de rectifier ainsi l’épithète :

« Elle a dit : « Une pauvre mendiante. »

– Ce qui est bien pis, dit le gentleman d’un ton triomphant. Ce qui est bien pis : « Une pauvre mendiante ! » expression basse, grossière, indigne !

– Tout à fait indigne, s’écria Tom. Je suis heureux de vous l’entendre ainsi qualifier.

– Si indigne, monsieur, dit le gentleman, baissant la voix pour la rendre plus expressive encore ; si indigne que, si je ne savais que miss Pinch est une jeune orpheline, sans protecteurs, sans parents, j’eusse, comme je le lui disais à elle-même, il y a quelques minutes à peine, sur ma véracité et mon caractère personnel, j’eusse dès ce moment et pour toujours rompu toute relation entre nous.

– Par le ciel, monsieur, s’écria Tom en se levant (car il ne pouvait plus se contenir), ne vous laissez pas, je vous prie, arrêter par de telles considérations. Elles n’existent pas. Ma sœur ne manque point de protecteur. Dès cet instant elle est prête à partir. Ma chère Ruth, allez mettre votre chapeau !

– Oh ! la jolie famille ! cria la dame. Oh ! c’est bien son frère ! Il n’y a pas de doute à cela !

– Pas plus de doute, madame, dit Tom, qu’il n’est douteux que cette jeune demoiselle est bien votre élève et non celle de ma sœur. Ma chère Ruth, allez prendre votre chapeau !

– Jeune homme, interrompit arrogamment le fondeur de métaux, quand, avec cette impertinence qui vous est naturelle et à laquelle, par conséquent, je ne daignerai plus prendre garde, vous dites que cette jeune demoiselle, ma fille aînée, a été élevée par une autre que miss Pinch, vous… Je n’ai besoin de rien ajouter. Vous m’entendez parfaitement. Je ne doute pas que vous n’ayez l’habitude de ce langage.