Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/189

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Non, Tom, non ; il y a si longtemps que j’aurai voulu sortir d’ici !

– Très-bien alors ! … Ne pleurez pas, dit Tom.

– C’est pour vous seulement, mon chéri, que j’ai du chagrin, continua-t-elle en sanglotant.

– Au contraire, dit Tom, vous devez être très-contente à cause de moi. Je serai doublement heureux de vous avoir pour compagne. Levez la tête. Là ! À présent, nous partons comme il faut, sans fanfaronnade, vous savez, mais fermes et confiants en nous-mêmes. »

L’idée de Tom et sa sœur pouvant faire de la fanfaronnade dans les circonstances où ils se trouvaient, cette idée était une splendide absurdité. Mais, dans son exaltation, Tom était loin de juger ainsi des choses ; et, quand il franchit la porte, il avait sur le front un air si délibéré que le concierge eut peine à le reconnaître.

Ce ne fut qu’après quelques instants de marche et quand Tom se trouva plus calme, plus recueilli, qu’il fut tout à fait rappelé à lui-même par une question de sa sœur, qui lui dit avec sa douce petite voix :

« Où allons-nous, Tom ?

– Mon Dieu ! dit Tom en s’arrêtant, je l’ignore.

– Est-ce que vous… n’avez pas un domicile quelque part, mon chéri ? demanda la sœur de Tom, le regardant avec anxiété.

– Non, dit Tom, pas pour le moment ; pas précisément. Je ne suis arrivé que de ce matin. Il faut que nous trouvions un logement. »

Il ne pouvait lui dire qu’il avait dû habiter avec son ami John, mais qu’à aucun prix il ne devait lui imposer la charge de deux pensionnaires, surtout quand il y avait là-dedans une jeune fille : car il se doutait bien que cette révélation eût mis Ruth dans l’embarras, et qu’après cela la pauvre enfant se fût considérée comme un fardeau pour son frère. Il ne voulait pas non plus la laisser quelque part tandis qu’il irait retrouver John pour lui apprendre le changement survenu dans sa situation : car il ne voulait pas avoir l’air d’abuser des sentiments généreux et hospitaliers de son ami. En conséquence, il répéta : « Il faut naturellement que nous trouvions un logement. » Et il vous dit cela d’un accent aussi résolu que s’il était le meilleur livre de renseignements, le Guide-Book vivant de tous les appartements à louer de la ville de Londres.