Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/191

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le métier fatigant, d’autant plus que pas un d’eux n’était à leur convenance. Enfin cependant ils découvrirent dans une singulière petite maison de vieille date, située dans une rue obscure, deux petites chambres à coucher et un parloir triangulaire qui semblaient faire assez bien leur affaire. On s’étonna de ce qu’ils désiraient prendre immédiatement possession ; cela parut même suspect : mais cette fâcheuse impression fut rachetée par le payement anticipé de la première semaine et par l’adresse qu’ils donnèrent pour renseignements, de John Westlock, Esquire, Furnival’s-Inn, High-Holborn.

Quand cette importante affaire eut été réglée, comme c’était gentil de voir Tom et sa sœur trottant ensemble chez le boulanger, puis chez le boucher, puis chez l’épicier, avec une sorte de joie timide que leur causaient ces soins de ménage inaccoutumés ; tenant tout bas conseil tandis qu’ils faisaient leurs petites emplettes, et tout déconcertés par les moindres observations du marchand ! Lorsqu’ils furent revenus au parloir triangulaire, et que la sœur de Tom, courant de tous côtés, très-occupée de mille riens charmants, s’arrêtait de temps en temps pour donner un baiser au vieux Tom ou lui sourire, Tom se frottait les mains, comme si tout Islington lui appartenait.

Cependant l’après-midi avançait, il se faisait tard, et il était grand temps qu’il songeât à son rendez-vous. Ainsi, après être convenu avec sa sœur que, vu qu’ils n’avaient point dîné, ils souperaient à neuf heures et se permettraient le luxe extravagant de côtelettes de mouton, Tom partit pour aller raconter à John ces merveilleux événements.

« Me voilà devenu tout à coup un homme de ménage, pensait-il. Si je pouvais seulement attraper une occupation, quelle vie agréable nous mènerions ensemble, Ruth et moi ! Ah ! si… ! Mais à quoi bon se décourager ? Il en sera temps quand j’aurai essayé de tout et échoué en tout ; et encore, cela ne me servirait pas à grand’chose. Sur ma parole, se dit-il en pressant le pas, qu’est-ce que John va croire que je sois devenu ? Je l’ignore. Il va commencer à craindre que je ne me sois égaré dans une de ces rues où l’on égorge les campagnards, et qu’on n’ait fait de moi de la chair à pâté ou quelque autre abomination. »