Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/197

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Si elle fut surprise, Tom ne le fut pas moins quand il l’aperçut ; c’est lui qui fut surpris, bien plus surpris qu’elle-même.

« M. Pinch a quitté papa, ma chère, dit Cherry, et ses projets d’avenir sont tout à fait florissants. Je lui ai promis qu’Auguste, qui va de ce côté, l’accompagnerait à l’endroit où il veut se rendre. Auguste, mon enfant, où êtes-vous ? »

Là-dessus, miss Pecksniff sortit du parloir en appelant Auguste Moddle à grands cris, et laissa Tom Pinch seul avec Mercy.

Si Mercy eût été toujours la meilleure amie de Tom, si à travers sa longue servitude elle l’eût traité avec plus d’égards que n’en obtint jamais un pauvre souffre-douleur comme lui, si elle lui eût embelli toutes les heures des nombreuses années qu’il avait passées sous leur toit, si enfin elle eût toujours ménagé Tom sans jamais le blesser, l’honnête cœur du pauvre garçon ne se fût pas gonflé devant Mercy d’une pitié plus profonde ou d’une amitié plus pure de toute rancune.

« Mon Dieu ! Vous êtes vraiment la dernière personne au monde que j’eusse pensé voir ! »

Tom regretta cet accueil, qui ne lui rappelait que trop les temps passés. Il ne s’était pas attendu à cela. Cependant cela ne l’empêcha pas en même temps d’être fâché de la voir si changée de visage et si peu changée d’humeur. C’étaient deux sentiments qui n’avaient rien d’incompatible.

« Je m’étonne que vous trouviez du plaisir à venir me voir. J’ignore comment cela a pu vous venir en tête. Quant à moi, je m’en serais toujours passée volontiers. Je ne crois pas, monsieur Pinch, qu’il y ait eu, à aucune époque, grande amitié entre nous. »

Son chapeau était à côté d’elle sur le sofa, et Mercy, tout en parlant, en maniait les rubans, mais elle les maniait avec trop d’activité pour avoir conscience de ce que faisaient ses doigts.

« Nous ne nous sommes jamais querellés, dit Tom (Et Tom avait raison, car on ne peut pas plus se quereller sans adversaire que jouer tout seul aux échecs ou se battre en duel avec soi-même.) J’espérais que vous seriez bien aise d’échanger une poignée de main avec un ancien ami. Ne réveillons point le passé. Si jamais je vous ai offensée, je vous en demande pardon. »

Mercy le regarda un moment, laissa tomber son chapeau de ses mains, qu’elle étendit sur son visage, et fondit en larmes.