Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/233

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Mais John n’en présentant aucune, Tom ferma fenêtre et volets, et les deux amis quittèrent l’appartement. Tom tira la porte très-fort, ainsi que M. Fips le lui avait recommandé, la poussa, trouva qu’elle était bien fermée, et mit la clef dans sa poche.

Comme ils avaient du temps devant eux, ils firent un assez grand détour pour revenir à Islington. Tom ne se lassait pas d’admirer tout ce qu’il voyait. Il était bien heureux d’avoir John Westlock pour compagnon : car combien d’autres à sa place se seraient fatigués de ses perpétuelles stations devant les boutiques, et de ses courses parmi les voitures, au milieu desquelles il s’élançait au péril de ses jours, pour mieux apercevoir un clocher ou un monument public ! Mais John, au contraire, était enchanté toutes les fois qu’il voyait Tom sortir, la figure radieuse, d’un labyrinthe de charrettes et de voitures, ne se doutant nullement de toutes les gracieusetés que lui adressaient les cochers. Il avait l’air de l’en aimer encore davantage.

Ruth n’avait plus de farine aux mains quand elle les reçut dans le salon triangulaire ; mais elle avait d’aimables sourires sur les lèvres, et ses yeux rayonnants leur souhaitaient la bienvenue. À propos, comme ils étaient brillants, ses yeux ! En y regardant un instant, quand on lui prenait la main, on voyait dans chaque œil une délicieuse petite miniature de soi-même, qui vous représentait si remuant, si vif, si gentil, si brillant !

Ah ! si on avait pu seulement y fixer sa miniature ! mais ces méchants yeux changeants et capricieux réfléchissaient avec trop d’impartialité tous ceux qui se présentaient devant eux, et tous y brillaient et y dansaient avec la même gaieté.

La table était mise bien simplement, car le linge et les cristaux étaient des moins élégants ; les couteaux avaient des manches d’os, peints en vert, et les fourchettes d’acier n’avaient que deux dents qui s’écartaient comme les jambes d’un clown. Cependant le besoin de linge damassé, d’argenterie, d’or, de porcelaine ou d’autres agréments, ne se faisait point sentir. Il y avait ce qu’il y avait, et cela suffisait pour qu’on ne regrettât rien.

Le succès du mets d’inauguration, le début de Ruth dans l’art culinaire, fut si complet, si parfait, que John Westlock et Tom tombèrent d’accord qu’il fallait qu’il y eût longtemps qu’elle étudiait cet art en secret, et la pressèrent d’en faire