Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/234

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l’aveu. Cette plaisanterie les amusa énormément, et servit de texte à une foule de bons mots. Mais la conduite de John ne fut pas si loyale qu’on eût pu s’y attendre : car, après avoir secondé Tom pendant longtemps, il passa soudainement à l’ennemi, et ne jura plus que par la sœur. Néanmoins, Tom fit la remarque ce soir-là même, avant d’aller se coucher, que ce n’était qu’une plaisanterie, et que John avait toujours été fameux pour sa politesse vis-à-vis des dames, même quand il était tout petit. Ruth dit : « Ah ! vraiment ! » Elle ne dit pas autre chose.

C’est étonnant, tout ce que trois personnes peuvent trouver à se dire. C’est à peine s’ils s’arrêtaient de parler. Mais leur conversation n’était pas toujours gaie ; ils devinrent tous bien sérieux quand Tom leur raconta comment il avait vu les filles de M. Pecksniff, et leur parla du changement qui s’était opéré dans l’existence de la plus jeune.

John Westlock s’intéressa vivement à ce qui la concernait, et demanda à Tom Pinch beaucoup de détails sur son mariage ; il s’informa si son mari n’était pas le même gentleman que Tom avait amené dîner avec lui à Salisbury, et, sur sa réponse négative, il demanda quel degré de parenté existait entre eux ; en somme, il s’en préoccupa beaucoup. Tom raconta les choses tout au long : il dit comment Martin était allé à l’étranger, et n’avait pas donné de ses nouvelles depuis bien longtemps ; comment Mark du Dragon l’avait accompagné ; comment M. Pecksniff s’était emparé du pauvre vieux grand-père, presque idiot, et comment il recherchait traîtreusement la main de Mary Graham. Mais Tom ne dit pas ce qui était caché dans son cœur, ce cœur si profond, si vrai, si plein d’honneur ; ce cœur où il y avait tant de place pour les pensées d’abnégation et de bienveillance ; non, Tom ne dit pas un mot de cela.

Tom ! Tom ! un jour viendra où l’homme du monde qui a le plus de confiance dans sa finesse et dans son habileté, l’homme du monde qui est le plus fier de la défiance que lui inspirent ses semblables, et qui a le plus d’or et d’argent à produire à l’appui de son système, où le sectateur le plus modéré de cette sage doctrine, « chacun pour soi et Dieu pour tous. » (car c’est apparemment une haute sagesse de croire que l’éternelle majesté du ciel puisse jamais être ou avoir été du côté de l’égoïsme et de la cupidité ! ) un jour viendra, sois-en sûr, où cet homme trouvera que toute sa sagesse, au prix d’un cœur simple comme le tien, n’était que sottise et folie !