Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/250

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c’est tout le contraire. » Et elle le sait bien aussi. Je ne suis qu’une pauvre femme, mais on a couru après moi, monsieur, je ne sais pas si vous le savez. J’ai été réveillée à toutes les heures de la nuit, et plus d’un propriétaire m’a donné congé, à cause qu’on croyait que le feu était à la maison. Je travaille pour gagner mon pain, c’est vrai ; mais je conserve mon indépendance, avec votre bonne permission, et je la conserverai jusqu’à la mort. J’ai mes sentiments comme femme, monsieur, et j’ai été mère aussi ; mais touchez seulement à une marmite qui m’appartienne, et fussiez-vous la jeune servante la plus favorite, la plus effrontée qui soit jamais entrée dans une maison, il faudra qu’une de nous deux quitte la place. Mes gains ne sont pas considérables, monsieur ; mais je ne veux pas qu’on me mortifie. « Bénissons l’enfant, et sauvons la mère ! » telle est ma devise, monsieur ; mais je prends la liberté d’y ajouter : « N’essayez pas de mécaniser la garde, car elle ne le souffrira pas. »

En terminant, mistress Gamp serra bien son châle autour de sa personne avec ses deux mains, et comme d’habitude renvoya à mistress Harris pour corroborer entièrement ces détails. Elle avait ce tremblement singulier de la tête, propre aux dames d’une nature irritable, indice certain qu’elles vont faire une nouvelle explosion ; heureusement Jonas s’interposa à temps.

« Puisque vous voilà, dit-il, vous feriez bien de vous occuper d’elle et de la ramener à la maison. Moi, j’ai autre chose à faire. »

Il ne dit rien de plus ; mais il regarda Montague, comme pour l’avertir qu’il était à ses ordres.

« Je suis fâché de vous enlever, » dit Montague.

Jonas lui lança un regard sinistre, qui demeura longtemps dans la mémoire de Tom, et qu’il se rappela souvent depuis.

« J’en suis fâché, ma parole, dit Montague. Pourquoi m’en avez-vous fait une nécessité ? »

Avec le même regard qu’auparavant, Jonas répondit, après un instant de silence :

« Ce n’est pas moi qui vous ai fait cette nécessité. C’est vous qui m’y avez réduit. »

Il ne dit rien de plus. Et le peu qu’il venait de dire, il l’avait prononcé de l’air d’un homme qui se sent les mains liées, et au pouvoir d’un autre, mais qui n’en porte pas moins au-dedans de lui-même un démon haineux enchaîné, contre lequel il