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penché par-dessus le parapet, qui regardait le quai des paquebots. Ce ne pouvait être pour son plaisir ; il ne se donnait jamais aucun plaisir. Ce devait être pour affaires.




CHAPITRE XVI.


M. Jonas et son ami arrivent à une entente cordiale, et font ensemble une entreprise.


Les bureaux de la compagnie Anglo-bengalaise d’assurances et de prêts étaient proches ; et, comme M. Montague y conduisit directement Jonas, ils furent bientôt arrivés. Mais le trajet aurait pu durer plusieurs heures sans provoquer un mot de part ni d’autre : car il était évident, non-seulement que Jonas était décidé à ne pas rompre le silence qui régnait entre eux, mais que son cher ami n’avait nulle envie de l’engager à causer.

Jonas, n’ayant plus de motif pour se cacher, s’était débarrassé de son manteau, et, avec ce vêtement roulé sur ses genoux, il se tenait aussi éloigné de son compagnon que le lui permettait l’espace restreint de la voiture. Il y avait une différence frappante dans son aspect, par comparaison avec ce qu’il était quelques minutes auparavant, quand Tom l’avait rencontré d’une façon si inattendue à bord du paquebot ; ou bien encore le jour où, dans le cabinet de M. Montague, un changement sinistre avait passé sur ses traits. Ce n’était plus le maintien d’un homme démasqué et déconcerté, d’un homme déjoué, poursuivi, traqué : c’était au contraire une expression de résolution soudaine qui avait complètement changé son visage. Ce visage était toujours sombre, défiant, sournois, pâle de colère ; il était encore humilié, abject, lâche, avili : mais, quel que fût le conflit intérieur, il y avait à présent une résolution puissante, qui luttait contre toutes les émotions de son esprit, et qui les terrassait toutes à mesure qu’elles se dressaient contre lui.

Il n’avait jamais été très-avenant, mais on n’aura pas de peine à croire qu’il l’était moins que jamais à présent. Ses dents s’étaient imprimées profondément dans sa lèvre inférieure, et ces traces de l’agitation qu’il venait d’éprouver ne l’embellis-