Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/255

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De plus, j’ai besoin de vous pour leurrer quelqu’un dans une affaire dont je vous ai déjà parlé. Je sais que cela vous est indifférent. Vous ne tenez pas à cet homme (vous ne tenez à personne ; vous êtes trop fin pour cela, et moi aussi, j’espère) ; et vous souffrirez avec une pieuse résignation les pertes qu’il pourrait essuyer. Ha ! ha ! ha ! vous avez tâché d’échapper à cette première conséquence. Mais vous n’y échapperez pas, je vous jure ; je vous en ai donné la preuve aujourd’hui. Or, je ne suis pas un puritain, vous le savez bien. Quelque chose que vous ayez pu faire, quelque imprudence que vous ayez pu commettre, je m’en moque ; mais je veux en profiter si c’est possible. Je puis faire ce libre aveu à un homme de votre intelligence. Au reste, cette infirmité ne m’est pas du tout personnelle. Chacun profite des imprudences de son prochain, et les gens les plus estimés plus que les autres peut-être. Pourquoi voulez-vous me donner cette peine ? Il faut que nous arrivions à une entente amicale ou bien à une rupture violente. Il le faut. Dans le premier cas, vous n’aurez pas grand’chose à perdre. Dans le second… C’est bon ! vous savez mieux que moi ce qui pourrait vous arriver. »

Jonas quitta la fenêtre et s’approcha de Montague. Il ne le regarda pas en face, c’était contraire à ses habitudes ; néanmoins ses yeux étaient sur lui (sur sa poitrine ou dans les environs), et il faisait de grands efforts pour parler lentement et distinctement, comme un homme ivre qui a la connaissance de son état.

« À quoi bon mentir ? dit-il ; ce matin je voulais m’en aller, c’est vrai, et vous imposer, une fois éloigné, des conditions meilleures.

– Cela va sans dire ! cela va sans dire ! répondit Montague ; rien de plus naturel. J’avais prévu cela, et j’avais pris mes précautions. Mais, pardon de vous avoir interrompu.

– Comment diable avez-vous été choisir ce messager-là ? continua Jonas avec un effort encore plus grand, et où diable l’avez-vous trouvé ? c’est ce que je ne vous demanderai pas. Je lui devais déjà quelque chose auparavant. Si vous êtes aussi peu soucieux des hommes en général que vous le disiez tout à l’heure, vous devez être parfaitement indifférent à ce que devient un misérable chien comme celui-là, et vous me laisserez régler mon compte avec lui à ma manière. »

S’il eût levé les yeux jusqu’à la figure de son compagnon, il aurait vu que Montague était évidemment dans l’impossibi-