Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/256

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lité de le comprendre. Mais, debout devant lui, avec son regard furtif dirigé toujours vers le même point, Jonas, qui s’était interrompu seulement pour humecter avec sa langue ses lèvres sèches, ne s’aperçut de rien. Un observateur aurait remarqué que ce regard fixe et continu était un des traits distinctifs du changement qui s’était opéré dans l’aspect de Jonas. Il le tenait attaché sur un seul point, avec lequel, selon toute apparence, ses pensées n’avaient rien de commun : comme un bateleur qui marche sur une corde tendue tient toujours un objet fixe en vue, et n’en détourne jamais les yeux, dans la crainte de tomber.

Montague répondit promptement, bien qu’au hasard : « Faites ce que vous voudrez, nous ne disputerons pas là-dessus.

– Votre grande découverte, continua Jonas avec un ricanement sauvage qu’il ne fut pas maître de réprimer, votre grande découverte peut être vraie, et elle peut être fausse. Quelle qu’elle soit, je présume que je ne suis pas plus mauvais que les autres.

– Pas un brin, dit Tigg, pas un brin. Nous nous valons tous à peu près.

– Je voudrais savoir une chose, continua Jonas ; ce secret est-il à vous uniquement ? Vous ne vous étonnerez pas de ma question.

– À moi ? répéta Montague.

– Oui ! repartit l’autre d’un ton bourru. N’est-il connu d’aucune autre personne ? Voyons ! répondez sans hésiter.

– Non ! dit Montague sans la moindre indécision. Quelle en serait la valeur, pensez-vous, s’il appartenait à d’autres qu’à moi ? »

Pour la première fois Jonas le regarda. Après un moment de silence, il lui tendit la main, et dit en riant :

« Allons ! soyez accommodant, et je vous appartiens. Peut-être après tout serai-je mieux ici que si j’étais parti ce matin. Enfin j’y suis maintenant, et j’y resterai. Je vous en donne ma parole ! »

Il toussa pour s’éclaircir la voix, car il était enroué, et dit d’un ton plus léger :

« Voulez-vous que j’aille trouver Pecksniff ? quand ? dites-moi quand.

– Tout de suite ! s’écria Montague. On ne saurait l’amorcer trop tôt.

– Ma foi ! s’écria Jonas avec un rire sauvage, ce sera amu-