Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/257

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sant de le mettre dedans, ce vieil hypocrite. Je le déteste, moi. Partirai-je ce soir ?

– À la bonne heure ! dit Montague charmé, voilà ce que j’appelle faire des affaires ! Nous nous comprenons bien maintenant ! Ce soir, mon cher ami, très-certainement ce soir.

– Venez avec moi ! s’écria Jonas. Il faut que nous fassions figure ! que nous y allions officiellement et armée de nos documents : car Pecksniff est rusé et difficile à manier ; il nous faudra user d’adresse pour en venir à bout. Je le connais. Comme je ne puis emporter votre appartement et vos dîners, il faut que je vous emporte, vous. Voulez-vous partir ce soir ? »

Son ami parut hésiter : il ne s’était pas attendu à cette proposition, et elle ne lui souriait guère.

« Nous pourrons nous concerter en route, dit Jonas. Il ne faut pas aller tout droit chez lui ; il vaut mieux aller dans un autre endroit, et avoir l’air de nous détourner, en passant, de notre route, pour le voir. Je n’aurai peut-être pas besoin de vous présenter, mais il faut que vous soyez sur les lieux. Je connais l’homme, vous dis-je.

– Mais l’homme me connaît aussi, dit Montague en haussant les épaules ; s’il allait me reconnaître !

– Vous reconnaître ! s’écria Jonas ; ne courez-vous pas ce risque-là cinquante fois par jour ? Votre père ne vous reconnaîtrait pas. Vous ai-je reconnu, moi ? Pardieu ! vous aviez une autre tournure, la première fois que je vous rencontrai. Ha ! ha ! ha ! je vois encore vos habits déguenillés ! Il n’y avait pas de faux cheveux noirs, pas de teinture noire ! Vous ne ressemblez pas du tout au farceur de ce temps-là ! Vous ne parliez même pas comme aujourd’hui. Depuis, vous avez joué le gentleman si sérieusement, que vous avez fini par vous tromper vous-même. Et quand il vous reconnaîtrait, qu’importe ? Un changement pareil, c’est la meilleure preuve de votre succès. Vous le savez bien ; autrement, vous ne vous seriez pas fait connaître à moi. Voyons ! venez-vous ?

– Mon bon ami, dit Montague en hésitant encore, il faut toute ma confiance en vous pour m’y décider.

– Votre confiance en moi ! Pardieu ! je crois bien que vous pouvez vous fier à moi maintenant. Je ne chercherai plus à m’en aller… plus jamais ! »

Il s’arrêta, et ajouta d’un ton plus calme :

« Je ne puis pas faire l’affaire sans vous. Voulez-vous venir ?