Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/258

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— Je le veux bien, dit Montague, si vous croyez que ce soit nécessaire. »

Et ils échangèrent une poignée de main.

Depuis le moment où il avait regardé en face son honorable ami, Jonas avait parlé avec une véhémence qui s’était accrue à chaque mot qu’il disait, et qui, maintenant portée à son comble, ne l’abandonna plus à aucune époque. Ces manières impétueuses ne lui avaient pas été habituelles ; elles étaient au contraire en complet désaccord avec son caractère et son tempérament, et d’autant moins naturelles quand on considère la position périlleuse où il se trouvait : cependant elles ne le quittèrent plus. Il ne paraissait pas subir les effets de l’ivresse, car ses idées étaient parfaitement suivies. Au contraire, il semblait être à l’épreuve de l’influence ordinaire des boissons ardentes ; bien que plusieurs fois, dans le courant de cette journée, il bût immodérément, sans retenue ni prudence, il resta toujours le même exactement, sans que sa belle humeur éprouvât la moindre variation.

Après un moment de discussion, ils décidèrent qu’ils voyageraient de nuit, afin de ne pas empiéter sur les affaires du jour ; puis ils délibérèrent ensemble quant aux moyens. M. Montague était d’avis qu’il faudrait quatre chevaux, dans tous les cas, pour le premier relais, afin de jeter, sans calembour, de la poudre aux yeux des gens. Ils commandèrent donc une chaise de poste à quatre chevaux pour neuf heures. Jonas ne s’en retourna pas chez lui, disant que l’obligation de partir précipitamment pour affaires pressantes expliquerait parfaitement son retour inattendu le matin. Il écrivit seulement un mot pour demander son portemanteau, et envoya la lettre par un messager qui lui rapporta son bagage et une réponse de cet autre genre de bagage, sa femme, lui demandant la permission de venir le voir un instant. Il lui fit répondre qu’elle n’avait qu’à essayer ; et une affirmation aussi menaçante étant équivalente, en dépit de la grammaire, à une négation, elle se garda bien de venir.

M. Montague étant très-occupé dans le courant de la journée, Jonas passa sa belle humeur sur le docteur, avec lequel il goûta dans la chambre du service de santé. Comme il s’y rendait, il rencontra M. Nadgett dans le premier bureau ; il le plaisanta de ce qu’il paraissait toujours vouloir l’éviter, et lui demanda s’il avait peur de lui. M. Nadgett répondit timidement :