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CHAPITRE XVIII.
Qui exercera une influence sur la destinée de plusieurs personnes. – M. Pecksniff s’y montre dans la plénitude de sa puissance, dont il use avec courage et magnanimité.


La nuit de l’orage, Mme Lupin, l’hôtesse du Dragon bleu, était assise toute seule dans le comptoir de sa petite salle à boire. Soit à cause de sa position solitaire, soit à cause du mauvais temps, ou pour ces deux motifs réunis, Mme Lupin était pensive, nous pourrions dire triste. Elle était là, le menton appuyé sur sa main, regardant à travers une fenêtre basse qui donnait sur le derrière de la maison, et que le feuillage épais d’une vigne rendait obscure, même aux jours les plus radieux ; et elle secouait souvent la tête en disant : « Mon Dieu ! hélas ! mon Dieu ! »

C’était un de ces moments de mélancolie qu’elle pouvait bien avoir parfois, même au milieu du bien-être de sa petite salle à boire. La riche étendue de pâturages, de champs de blé, de vertes pelouses et de riants coteaux, avec ses clairs ruisseaux, ses haies nombreuses et ses massifs de beaux arbres, tout était sombre et lugubre, depuis les vitres en losange de la fenêtre jusqu’au lointain horizon, où le tonnerre semblait rouler au milieu des collines. La pluie torrentielle avait abattu les bourgeons de la vigne et du jasmin et les avait écrasés dans sa fureur ; et, quand les éclairs brillaient, on voyait les feuilles en pleurs qui frissonnaient, se pressant les unes près des autres et frappant à coups redoublés aux carreaux, comme si elles imploraient un abri contre l’ouragan.

Par respect pour les éclairs, Mme Lupin avait transporté sa chandelle sur la cheminée. Son panier à ouvrage restait oublié à côté d’elle ; son souper, servi sur une petite table ronde à peu de distance, n’avait pas été touché, et elle en avait retiré les couteaux, de crainte qu’ils n’attirassent la foudre. Elle était restée longtemps assise, le menton appuyé sur sa main, disant tout bas de temps à autre : « Mon Dieu ! hélas ! mon Dieu ! »

Elle était sur le point de le répéter encore une fois, quand