Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/276

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elle entendit soulever le loquet de la porte d’entrée (qu’on avait fermée à cause de la pluie), et vit entrer un voyageur qui referma la porte, marcha droit au comptoir, et dit d’un ton un peu bourru : « Servez-moi une pinte de votre meilleure bière ! »

Il y avait de quoi être bourru ; s’il avait passé la journée sous une cascade, il n’eût guère été plus mouillé. Il était enveloppé jusqu’aux yeux d’un vêtement bleu de matelot, d’étoffe grossière, et il portait un chapeau de toile cirée à larges bords, d’où la pluie découlait tout autour sur sa poitrine, son dos et ses épaules. Il avait rabattu son chapeau et remonté le collet de son habit pour se garantir du mauvais temps ; de sorte que Mme Lupin ne pouvait lui voir que le menton, et encore l’essuyait-il avec la manche humide de son épaisse veste, chaque fois qu’elle regardait de son côté. Néanmoins, d’après une certaine expression de vivacité dans ce menton, Mme Lupin jugea que l’étranger devait être un bon garçon.

« Il fait bien mauvais ce soir ! dit l’hôtesse d’un ton bienveillant.

– Oui, un peu ! dit le voyageur, en se secouant comme un chien de Terre-Neuve.

– Il y a du feu à la cuisine, dit Mme Lupin, et vous vous y trouveriez en bonne compagnie. Ne feriez-vous pas bien d’aller vous sécher ?

– Non, merci, » dit l’homme.

Et il regarda du côté de la cuisine, comme s’il en connaissait le chemin.

« C’est qu’il y a de quoi attraper une fluxion de poitrine, dit l’hôtesse.

– Je n’attrape pas si facilement des fluxions de poitrine, répliqua le voyageur. Autrement il y a longtemps que ce serait déjà fait. À votre santé, madame. »

Mme Lupin le remercia ; mais, au moment où il portait son verre à ses lèvres, il changea d’avis et le reposa sur le comptoir. Il se rejeta en arrière, regarda autour de lui avec la roideur d’un homme qui est enveloppé et qui a son chapeau rabattu jusque sur les yeux, et dit :

« Comment appelez-vous cette maison ? Ce n’est pas l’auberge du Dragon, n’est-ce pas ?

– Si fait, c’est l’auberge du Dragon, répondit complaisamment Mme Lupin.

– Alors, vous avez chez vous un de mes parents éloi-