Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gnés, madame, dit le voyageur : un jeune homme du nom de Tapley. Comment, Mark, mon garçon ! ajouta-t-il, s’adressant aux quatre murailles, je t’ai donc enfin rencontré, mon vieux ! »

C’était toucher Mme Lupin à l’endroit sensible. Elle fit un mouvement pour moucher la chandelle qui se trouvait sur la cheminée, et, le dos tourné au voyageur :

« Personne, dit-elle, ne serait mieux reçu au Dragon, monsieur, que celui qui m’apporterait des nouvelles de Mark. Mais il y a bien, bien des jours, et bien, bien des mois qu’il a quitté cette maison et l’Angleterre. Et Dieu seul sait s’il est mort ou vivant, le pauvre garçon ! »

Elle secoua la tête ; sa voix tremblait, et sa main devait trembler aussi, car il lui fallut beaucoup de temps pour moucher la chandelle.

« Où donc est-il allé, madame ? demanda le voyageur d’un ton plus doux.

– Il est allé en Amérique, dit avec une tristesse croissante Mme Lupin. Il a toujours eu bon cœur, et, qui sait ? dans ce moment-ci il est peut-être en prison, condamné à mort pour avoir aidé le pauvre fugitif à s’échapper. Comment a-t-il jamais pu se décider à aller en Amérique ? Pourquoi n’a-t-il pas été plutôt dans un de ces pays où l’on n’est pas tout à fait barbare ; où les sauvages s’entre-mangent loyalement, à chances égales pour tous ? »

Pour le coup, Mme Lupin n’y tint plus ; elle se prit à sangloter, et se dirigeait vers une chaise pour s’y abandonner à sa douleur, quand le voyageur la saisit dans ses bras. Elle le reconnut et poussa un cri de joie.

« Si ! je le veux ! … criait Mark ; un autre ! … encore un ! … encore vingt ! Vous ne m’avez pas reconnu avec cet habit et ce chapeau-là ? Je croyais que vous m’auriez reconnu. N’importe où ! Encore dix !

– Et je vous aurais bien reconnu, en effet, si j’avais vu vous voir ; mais je ne le pouvais pas, et vous parliez d’un ton si bourru ! Je n’aurais jamais cru que vous pussiez me parler comme ça, Mark, dès le premier jour de votre retour.

– Quinze de plus ! dit M. Tapley. Que vous êtes jolie et comme vous avez l’air jeune ! Six encore ! Les six derniers ne comptent pas ; il faut recommencer. Que le bon Dieu vous bénisse ! Quel plaisir de vous revoir ! Encore un ! Ma parole, je