Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/278

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n’ai jamais été si jovial. Mais comme ça n’a pas de mérite, il m’en faut encore quelques-uns ! »

Quand M. Tapley s’arrêta dans ses calculs d’arithmétique, ce fut non parce qu’il était fatigué, mais parce qu’il lui fallait reprendre haleine. Ce temps d’arrêt le rappela à d’autres devoirs.

« M. Martin Chuzzlewit est dehors, dit-il. Je l’ai laissé sous la remise pendant que je venais voir s’il y avait quelqu’un ici. Nous ne voulons pas être reconnus ce soir, jusqu’à ce que vous nous ayez donné des nouvelles et que nous ayons décidé ce que nous avons de mieux à faire.

– Il n’y a pas une âme dans la maison, excepté la compagnie qui se chauffe à la cuisine, répliqua l’hôtesse. S’ils savaient que vous êtes revenu, Mark, ils feraient un feu de joie dans la rue, malgré l’heure avancée.

– Mais il ne faut pas qu’ils le sachent ce soir, ma chère amie, dit Mark. Ainsi, faites fermer la maison et apprêtez bon feu à la cuisine ; puis, quand tout sera prêt, vous mettrez une lumière à la fenêtre et nous entrerons. Encore un ! Il me tarde d’entendre parler de mes anciens amis. Vous m’en donnerez des nouvelles, n’est-ce pas ? de M. Pinch, et du chien du boucher au bout de la rue, et du terrier d’en face, et du charron, et de tous, enfin. Le soir, quand j’ai aperçu l’église, j’ai cru que le clocher allait m’étouffer, ma parole ! Un de plus ! Vous ne voulez pas ? pas un tout petit pour finir ?

– Vous en avez eu assez, il me semble, dit l’hôtesse. Allez donc, avec vos manières étrangères.

– Ce n’est pas une manière étrangère, ça ! s’écria Mark ; c’est indigène comme les huîtres ! Un de plus, parce que c’est indigène ! comme témoignage de respect pour le pays que nous habitons ! Vous comprenez que ça ne compte pas, entre vous et moi. Faites attention que ce n’est pas vous que j’embrasse en ce moment. Je reviens de chez des patriotes : j’embrasse ma patrie ! »

Il eût été injuste d’accuser de tiédeur ou d’indifférence les témoignages de patriotisme dont il accompagna cette explication. Quand il eut bien exprimé toute sa nationalité, il alla chercher Martin, tandis que Mme Lupin, dans un état de vive agitation, se préparait à les recevoir.

La compagnie du Dragon bleu sortit bientôt pêle-mêle, se répétant les uns aux autres que l’horloge de l’auberge était d’une demi-heure en avance, et que c’était sans doute l’orage