Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/284

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous la tutelle de cet hypocrite, et n’ayant plus, si ce qu’on dit est vrai, ni opinion ni volonté qui lui appartienne, ce n’est pas à ses pieds, mais en réalité à ceux de M. Pecksniff que je devrai me jeter ? Et si je suis repoussé (à cette pensée Martin devint cramoisi), ce ne sera pas par lui, ce ne sera pas mon propre sang qui se retournera contre moi, ce sera Pecksniff… Pecksniff, Mark !

– Oui ; mais nous savons d’avance, répondit le politique M. Tapley, que Pecksniff est un misérable, un scélérat et un coquin.

– Un dangereux coquin ! s’écria Martin.

– Un dangereux coquin. Nous savons cela d’avance, monsieur, et, par conséquent, il n’y a pas de honte à être vaincu par Pecksniff. Au diable Pecksniff ! s’écria M. Tapley dans la ferveur de son éloquence. Qu’est-ce qu’il est donc ? Il n’est pas au pouvoir de Pecksniff de nous humilier, nous autres, à moins qu’il ne s’avise d’être de notre avis, ou de nous rendre un service, et, dans le cas où il se permettrait une hardiesse pareille, nous saurions lui exprimer nos sentiments en bon anglais, j’espère ? Pecksniff ! répéta M. Tapley avec un dédain ineffable. Qu’est-ce que c’est que ça, Pecksniff ? Qui est Pecksniff ? Où est Pecksniff, qu’il faille tant s’occuper de lui ? D’abord, nous n’agissons pas pour nous (il accentua d’une manière significative ce dernier mot, et regarda Martin en face), nous faisons un effort en faveur d’une jeune demoiselle qui, elle aussi, au eu sa part de chagrin ; et, quelque mince que soit notre espoir, ce ne sera pas ce Pecksniff-là qui nous arrêtera, j’espère. Je n’ai jamais entendu parler d’un décret du parlement obtenu par Pecksniff. Pecksniff ! Ma foi ! je ne regarderais pas seulement cet homme-là ; je ne l’entendrais pas, je ne consentirais pas même à m’apercevoir de sa présence en compagnie. Je décrotterais mes souliers sur le décrottoir qui est à la porte et que j’appellerais Pecksniff, si vous voulez, mais mon condescendance n’irait pas plus loin. »

L’étonnement que fit éprouver à Mme Lupin (et, bien plus, à M. Tapley lui-même) ce torrent chaleureux de paroles fut immense. Cependant Martin, après avoir regardé le feu pendant quelque temps d’un air pensif :

« Mark, dit-il, vous avez raison ; que ce soit bon ou mauvais, il faut que je le fasse. Je le ferai.

– Un mot encore, monsieur, répliqua Mark. Ne pensez à cet homme que juste assez pour ne lui donner aucune prise