Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/288

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pas rester tranquille. Mon bienfaiteur ! Mon ami ! Ma maison même ne sera-t-elle pas un refuge pour vos cheveux blancs ?

– Écartez-vous un peu, dit le vieillard en étendant la main, et laissez-moi voir ce que naguère j’ai tant aimé !

– Il est bon que vous le voyiez, mon ami, dit M. Pecksniff. Il est juste que vous le voyiez, mon noble ami. Il est nécessaire que vous le contempliez sous son vrai jour. Regardez-le. Le voilà, monsieur. Le voilà. »

Martin eût été plus qu’un homme si sa figure n’eût exprimé quelque peu du courroux et du mépris que lui inspirait M. Pecksniff. Mais à part cela, il ne paraissait pas se douter de sa présence ni même de son existence. À la vérité, il avait, en entrant, regardé une fois de son côté involontairement, et avec un suprême dédain : mais ensuite Martin ne fit pas plus attention à lui que si la place était vide.

Tout en parlant M. Pecksniff s’était retiré à l’écart, conformément au désir qu’avait exprimé le vieux Martin ; ce dernier prit la main de Mary Graham, lui dit tout bas avec bonté de ne pas s’effrayer, la poussa doucement derrière son fauteuil, et regarda attentivement son petit-fils.

« C’est bien cela ! dit-il. Ah ! c’est bien lui ! ah ! oui, je le reconnais. Dites-moi ce que vous avez à me dire. Mais n’approchez pas davantage.

– Il pousse si loin le sentiment de la justice, dit M. Pecksniff, qu’il veut entendre même ce malheureux, quoiqu’il sache d’avance que cela ne peut servir à rien. Âme ingénue ! »

M. Pecksniff ne s’adressait à personne ; mais, prenant le rôle du chœur dans une tragédie grecque, il énonçait son opinion comme un commentaire explicatif de la scène qui se passait sous ses yeux.

« Grand-père ! dit Martin d’un ton pénétré, après un voyage pénible, au sortir d’une existence précaire, d’un lit de douleur, d’une vie de privations et de misère, de tristesse et de déceptions, de découragement et de désespoir, je reviens à vous.

– Les maraudeurs de ce genre, dit M. Pecksniff (ou plutôt le chœur), reviennent assez généralement, quand ils trouvent que leurs vagabondages ne leur ont pas bien réussi.

– Sans cet homme fidèle, dit Martin en se tournant vers Mark, que j’ai connu d’abord ici, et qui est parti avec moi volontairement comme serviteur, mais qui a toujours été plutôt mon ami zélé et dévoué, sans lui je serais mort là-bas,