Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/289

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loin de mon pays, loin de tout secours et de toute consolation, privé même de l’espoir de faire connaître ma malheureuse destinée à quelqu’un qui s’y intéressât… Ah ! permettez-moi de le dire, privé même de l’espoir de vous la faire connaître ! … »

Le vieillard regarda M. Pecksniff, et M. Pecksniff le regarda.

« Ne m’avez-vous pas parlé, mon excellent ami ? dit Pecksniff en souriant. » Le vieillard répondit que non. « Je sais ce que vous pensiez, dit M. Pecksniff en souriant de nouveau. Laissez-le continuer, mon ami. Il est toujours curieux d’étudier le développement de l’intérêt personnel dans l’esprit humain. Laissez-le continuer, monsieur.

– Continuez, dit le vieillard qui paraissait obéir machinalement à ce que lui suggérait M. Pecksniff.

– J’ai été si pauvre et si misérable, dit Martin, que c’est à un étranger, sur une terre étrangère, que j’ai été redevable des moyens de revenir ici. Tout ce que je vous dis là ne plaide pas pour moi dans votre esprit, je le sais. Je ne vous ai que trop donné lieu de croire que c’est le besoin qui m’amène ici, et non l’affection ou le regret. Quand je vous ai quitté, grand-père, je méritais ce soupçon ; mais je ne le mérite plus maintenant. Non, je ne le mérite plus. »

Le chœur grec mit la main dans son gilet, et sourit. « Laissez-le continuer, mon digne ami, dit-il. Je sais ce que vous en pensez, mais ne le dites pas trop tôt. »

Le vieux Martin leva les yeux vers M. Pecksniff et sembla s’inspirer de ses regards et de ses paroles ; puis il répéta :

« Continuez !

– Il me reste peu de choses à dire, répondit Martin. Et, comme je parle maintenant avec peu ou point d’espérance, (quelque lueur d’espoir que j’eusse en entrant ici), vous pouvez me croire, grand-père. Au moins croyez que je vous dis la vérité.

– Ô belle Vérité ! s’écria le chœur en levant les yeux. Comme ton nom est profané par les méchants ! Ce n’est pas au fond d’un puits que tu habites, principe sacré, c’est sur les lèvres de la perfide humanité ! C’est à faire désespérer de l’espèce humaine, cher monsieur (s’adressant à M. Chuzzlewit), mais il faut être indulgent ; c’est notre devoir. Soyons du petit nombre de ceux qui font leur devoir. S’il est vrai, continua le chœur, prenant son essor dans les nuages, s’il est vrai, comme dit le poëte, que l’Angleterre s’attend à ce que