Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/290

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chaque homme fera son devoir, il faut que l’Angleterre soit le pays le plus confiant du monde, et s’expose de gaieté de cœur à des déceptions continuelles. »

Martin reprit en regardant le vieillard avec calme, mais aussi en jetant une fois les yeux vers Mary, qui, penchée sur le dossier du fauteuil, cachait son visage dans ses mains :

« Quant à la première cause de division qui s’est élevée entre nous, mon esprit et mon cœur sont incapables de changer. Quelque influence qu’ils aient subie, depuis cette malheureuse époque, cette influence, loin de m’affaiblir, m’a donné des forces. Je ne puis pas vous dire que j’éprouve du regret, ou de l’irrésolution, ou de la honte à ce sujet. Au reste, vous en seriez fâché pour moi, je le sais. Mais la réflexion, la solitude et la misère, m’ont appris que j’aurais pu me fier à votre affection, si je l’avais honnêtement et noblement sollicitée ; que j’aurais pu sans peine vous gagner à ma cause si j’avais eu plus d’égards pour vous, si je vous avais cédé davantage ; que, si je m’étais plus oublié pour me souvenir de vous davantage, je me fusse mieux servi moi-même. Je suis venu ici avec la résolution de vous dire tout cela, et de vous demander pardon ; non pas que j’espère en l’avenir, mais je regrette le passé ; car tout ce que je sollicite de vous désormais, c’est de m’aider à vivre. Aidez-moi à me procurer un travail honnête, et je travaillerai. Je sais que ma position ne parle pas en ma faveur, elle pourrait vous faire penser que je n’ai en vue qu’un but d’égoïsme ; mais mettez-moi à l’épreuve, et vous verrez ; vous verrez si je suis encore entier, opiniâtre et orgueilleux comme autrefois, ou si j’ai appris quelque chose à une rude école. Que la voix de la nature et du sang plaide en ma faveur, grand-père ; et, pour une seule faute d’ingratitude, ne me repoussez pas à jamais ! »

Il s’arrêta ; la tête blanche du vieillard se courba de nouveau, et il se cacha le visage derrière ses doigts étendus.

« Mon cher monsieur, s’écria M. Pecksniff en se penchant sur lui, il ne faut pas vous laisser émouvoir ainsi. C’est une faiblesse très-naturelle et très-aimable, sans doute ; mais il ne faut pas que la conduite éhontée d’un homme que vous avez banni depuis longtemps vous touche à ce point. Courage ! Pensez, dit M. Pecksniff, pensez à moi, mon ami.

– Oui j’y penserai, répondit le vieux Martin, en levant les yeux vers lui. Vous me rappelez à moi-même.

– Voyons, dit M. Pecksniff ; et il approcha une chaise, s’as-