Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/292

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« Je la répands, monsieur, sur celui que vous cherchez à rendre victime de vos artifices, dit M. Pecksniff ; que vous cherchez à dépouiller, à tromper, à égarer. C’est une larme de sympathie et d’admiration pour lui ; ce serait une larme de compassion pour lui, s’il ne savait pas heureusement ce que vous êtes. Vous ne lui ferez plus de tort, d’aucune manière, monsieur, s’écria M. Pecksniff, dans un transport d’enthousiasme, tant que j’aurai un souffle de vie. Vous pourriez vous ruer sur mon cadavre inanimé, monsieur. C’est très-probable. Je puis me figurer la jouissance que ferait éprouver à une âme telle que la vôtre un attentat de ce genre. Mais, tant que je continuerai d’exister, c’est moi qu’il vous faudra frapper avant d’arriver jusqu’à lui. Oui ! et dans une cause pareille, ajouta M. Pecksniff en secouant la tête avec un enjouement mêlé d’indignation, dans une cause pareille, mon jeune monsieur, vous n’avez qu’à venir, vous trouverez à qui parler. »

Martin regardait toujours son grand-père avec douceur, sans le quitter des yeux. « Ne me donnerez-vous pas de réponse ? dit-il enfin ; pas un mot ?

– Vous avez entendu ce qu’on vient de dire, répondit le vieillard, sans détourner les yeux de la figure de M. Pecksniff qui lui faisait des signes d’encouragement.

– Je n’ai pas entendu votre voix. Je n’ai pas entendu votre cœur, répliqua Martin.

– Dites-le-lui encore, dit le vieillard, en regardant toujours M. Pecksniff.

– Je ne veux entendre, répondit Martin, ferme dans sa résolution depuis le commencement de cette scène, et d’autant plus ferme maintenant qu’il voyait Pecksniff se débattre et se tordre sous son mépris, je n’entends que ce que vous me dites, grand-père. »

Peut-être était-il heureux pour M. Pecksniff que son vénérable ami trouvât dans ses traits un sujet de contemplation exclusif pour absorber toute son attention : car, si les regards de M. Chuzzlewit se fussent dirigés vers le jeune Martin, et qu’ils eussent comparé son maintien avec la mine de son zélé défenseur, cet homme désintéressé se fût montré avec aussi peu d’avantage que le jour mémorable où il avait soldé le compte de Tom Pinch. Réellement, on aurait cru qu’il y avait en M. Pecksniff une faculté mystérieuse (peut-être une émanation de sa sérénité et de sa pureté intérieure) qui faisait valoir et embellis-