Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/293

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sait ses ennemis : ils paraissaient tous si nobles et si chevaleresques auprès de lui !

« Quoi ! pas un mot ? dit Martin, pour la seconde fois.

– Je me rappelle que j’ai un mot à dire, Pecksniff, fit le vieillard. Rien qu’un mot. Vous m’avez dit que vous aviez dû au secours charitable d’un étranger les moyens de revenir en Angleterre. Quel est cet étranger ? Et quel secours, en argent, vous a-t-il fourni ? »

Quoique cette question s’adressât à Martin, le vieillard ne regarda pas de son côté, mais il continua de tenir les yeux fixés sur M. Pecksniff, comme auparavant. Il semblait avoir pris l’habitude, au physique comme au moral, de n’avoir plus d’yeux que pour M. Pecksniff.

Martin prit son crayon, déchira un feuillet de son carnet et y traça rapidement le détail de la dette qu’il avait contractée vis-à-vis de M. Bevan. Le vieillard étendit sa main et prit le papier ; mais ses yeux ne quittèrent pas la figure de M. Pecksniff.

« Si je vous disais, murmura Martin en baissant la voix, que je ne désire pas que vous payiez cette dette, ou que j’ai quelque espoir de pouvoir l’acquitter moi-même, ce serait de l’orgueil mal placé et de la fausse humilité. Mais jamais je n’ai si cruellement senti ma pauvreté que maintenant.

– Lisez-moi cela, Pecksniff, » dit le vieillard.

M. Pecksniff prit le papier comme si c’eût été la confession par écrit d’un meurtre, et il obéit.

« Je crois, Pecksniff, dit le vieux Martin, que je voudrais voir liquider cette dette. Je serais fâché que le prêteur qui est en pays étranger, qui n’a pu prendre de renseignements, et qui a cru faire une bonne action, eût à souffrir de sa générosité.

– C’est un sentiment honorable, mon cher monsieur, et qui est bien digne de vous. Mais c’est un dangereux précédent, dit M. Pecksniff, permettez-moi de vous le dire.

– Ce ne sera pas un précédent, répliqua le vieillard. C’est la seule fois que je veuille lui donner cette satisfaction. Mais nous en reparlerons. Vous me conseillerez. Il n’y a pas autre chose ?

– Pas autre chose, dit M. Pecksniff avec impétuosité, qu’à vous remettre aussi vite que possible de cette émotion, de ce lâche et injustifiable outrage à vos sentiments ; qu’à reprendre au plus tôt votre sérénité.