Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/295

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de paroles que nous pouvons échanger rapidement ensemble sont importantes), qu’est-ce que j’ai entendu dire ? Est-il vrai que ce misérable vous persécute ? qu’il ose vous faire la cour ?

– C’était vrai, cher Martin, et c’est encore vrai jusqu’à un certain point ; mais ce n’est pas là ce qui m’a rendue la plus malheureuse, c’est l’inquiétude que j’ai éprouvée à votre sujet. Pourquoi nous avez-vous laissés dans une si cruelle incertitude ?

– La maladie, l’éloignement, la crainte de parler de notre véritable position, l’impossibilité de vous la cacher excepté par un silence complet ; la conviction que la vérité vous affligerait plus encore que l’incertitude et le doute, dit Martin (et il l’éloignait tendrement de la longueur de son bras pour mieux la regarder, puis il la rapprochait contre son cœur), telles sont les raisons pour lesquelles je n’ai écrit qu’une fois. Mais Pecksniff ? ne craignez pas de me dire tout ; car vous m’avez vu face à face avec lui ; vous avez vu que je pouvais l’écouter parler sans lui sauter à la gorge. Contez-moi l’histoire de ses importunités. Sont-elles connues de mon grand-père ?

– Oui.

– Et il seconde ses intentions ?

– Non, répondit-elle vivement.

– Dieu merci ! s’écria Martin ; c’est au moins un côté de son esprit qui est resté intact.

– Je crois, dit Mary, qu’il ne les a pas connues tout de suite, et que ce n’est qu’après avoir tout doucement préparé son esprit à l’entendre, que cet homme lui a révélé par degrés ses intentions. Je le crois, mais c’est plutôt une impression qu’une certitude : car ils ne m’en ont pas parlé. C’est après cela qu’il m’en a dit quelque chose, en tête-à-tête.

– Mon grand-père ? demanda Martin.

– Oui… il me parla en particulier, et me raconta…

– Ce que le misérable lui avait dit, s’écria Martin. Ne le répétez pas !

– Il me dit que je connaissais bien ses qualités ; qu’il était à son aise ; qu’il avait une bonne réputation ; et qu’il jouissait de toute sa faveur et de toute sa confiance. Mais, voyant que j’étais fort affligée, il ajouta qu’il ne voulait ni influencer ni contraindre mes inclinations ; qu’il n’avait voulu que m’exposer les faits ; que, du reste, pour ne point m’attrister, il ne s’étendrait pas davantage sur ce sujet, et qu’il n’y reviendrait plus ; et en effet il m’a tenu parole.