Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/297

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lis un de ses ouvrages favoris, ou bien que nous causons familièrement, j’ai observé que, si M. Pecksniff entre, tout son aspect change, il s’interrompt sur-le-champ et devient tel que vous l’avez vu aujourd’hui. Lorsque nous sommes d’abord venus ici, il avait encore ses moments d’explosion impétueuse, que M. Pecksniff, avec tout son manège, avait bien de la peine à calmer. Mais il n’en est plus question depuis longtemps. Il lui cède en tout, et n’a d’autre opinion que celle qui lui est imposée par cet homme perfide et traître. »

Tel fut l’exposé rapide, fait à voix basse, et interrompu plus d’une fois par de fausses alertes, que Martin entendit de la décadence de son grand-père et de l’ascendant qu’avait pris sur lui l’excellent M. Pecksniff. Mary lui parla un peu de Tom Pinch, ainsi que de Jonas, et beaucoup de lui-même par-dessus le marché. Quoique les amants aient ceci de remarquable, qu’ils oublient toujours de se parler d’une foule de choses, et qu’ils désirent tout naturellement se revoir pour se les dire, ils ont aussi une merveilleuse puissance de condensation, et peuvent, d’une façon ou d’une autre, articuler plus de paroles (et de paroles éloquentes encore) dans le moindre espace de temps donné, que les six cent cinquante-huit membres du parlement du Royaume-Uni de la Grande Bretagne et de l’Irlande réunis ensemble, quoique ces messieurs soient aussi très-amoureux, sans doute, mais de leur patrie seulement, ce qui fait une différence ; car il est d’usage dans une passion de ce genre, passion rarement payée de retour, de débiter autant de mots que possible, sans rien exprimer du tout.

Un avertissement de M. Tapley ; un rapide échange d’adieux et de quelques autres petites choses encore dont le proverbe nous dit qu’il ne faut jamais reparler ; une blanche main tendue à M. Tapley qui la baisa avec la dévotion d’un chevalier errant ; encore des adieux ; encore les autres petites choses ; une dernière assurance de Martin qu’il écrirait de Londres, et qu’il allait y faire merveilles (quelles merveilles, Dieu le sait ! mais enfin il le croyait fermement), puis Mark et lui se retrouvèrent hors du manoir de Pecksniff.

« C’est une courte entrevue, après une si longue absence ! dit Martin avec tristesse. Mais je suis content que nous ayons quitté cette maison. Nous aurions pu nous placer dans une fausse position en y restant, même si peu de temps, Mark.

– Je ne sais pas pour nous, monsieur, répondit Mark ; mais je connais quelqu’un qui se fût placé dans une très-fausse