Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/299

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plus belle chambre, dit tout bas Mme Lupin, en levant les yeux vers la fenêtre, au moment où ils entraient dans la maison. Il a commandé un dîner magnifique, et il a les moustaches et les favoris les plus reluisants que vous ayez jamais vus.

– Vraiment ! s’écria Martin ; alors nous tâcherons de l’éviter aussi ! Nous aurons bien le courage de faire ce sacrifice ! D’ailleurs, c’est l’affaire de quelques heures, dit Martin en se jetant avec découragement dans un fauteuil, derrière le petit rideau de la salle. Notre démarche n’a pas réussi, ma chère mistress Lupin, et il faut que nous allions à Londres.

– Mon Dieu ! mon Dieu ! s’écria l’hôtesse.

– Bah ! une rafale ne fait pas plus l’hiver qu’une hirondelle ne fait le printemps. Je vais tenter un nouvel essai. Tom Pinch a bien réussi, lui. Avec ses conseils j’en ferai peut-être autant. Il fut un temps où j’avais pris Tom sous ma protection, Dieu me pardonne ! dit Martin avec un sourire mélancolique, et où je lui promettais de faire sa fortune. Peut-être est-ce Tom à son tour qui va me prendre sous sa protection et me montrer à gagner mon pain ! »


CHAPITRE XIX.
Suite de l’entreprise de Jonas et son ami.


Entre autres admirables qualités, M. Pecksniff en possédait une assez remarquable : plus il se voyait démasqué, et plus il faisait l’hypocrite. S’il était déconfit d’un côté, il s’en consolait et s’en dédommageait en portant la guerre ailleurs. Si ses manœuvres étaient déjouées par A, raison de plus pour s’empresser de les essayer sur B, quand ce n’eût été que pour s’entretenir la main. Il n’avait jamais eu une attitude si sainte et si édifiante pour ceux qui l’entouraient, qu’après avoir été démasqué par Tom Pinch. Il n’avait presque jamais été aussi tendre dans son humanité, aussi digne et aussi exalté dans sa vertu, que lorsqu’il se débattait aujourd’hui sous le mépris du jeune Martin.

Ayant sur les bras cet ample approvisionnement de senti-