Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/301

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personne ne serait venu réclamer. Dans l’un ou l’autre cas il aurait solennellement prononcé une bénédiction patriarcale sur cette tête fortunée, et il se serait attribué tout le mérite de son bonheur, comme s’il ne se fût occupé que de cela depuis que l’enfant était au berceau.

« Si nous parlions d’autre chose maintenant ? dit sèchement Jonas ; quand ce ne serait que pour changer. Qu’en dites-vous ?

– Très-certainement, dit M. Pecksniff. Ah ! farceur ! Ah ! mauvais plaisant ! vous vous moquez de la faiblesse du pauvre vieux papa. Allons ! il l’a bien mérité. Et cela lui est d’ailleurs bien égal, car il trouve sa récompense dans ses sentiments. Avez-vous l’intention de rester chez moi, Jonas ?

– Non, je suis avec un ami.

– Amenez votre ami ! s’écria M. Pecksniff dans un débordement d’hospitalité. Amenez autant d’amis que vous voudrez !

– Ce n’est pas un homme que je puisse vous amener, dit dédaigneusement Jonas. Je crois me voir, l’amenant chez vous, pour le régaler ! Merci tout de même ; mais c’est un monsieur trop huppé pour cela, Pecksniff. »

L’excellent homme dressa les oreilles ; son intérêt était éveillé. Aux yeux de M. Pecksniff, une position élevée, c’était la grandeur, la vertu, la bonté, la sagesse, le génie tout ensemble ; ou plutôt c’était quelque chose qui dispensait de toutes ces qualités, quelque chose d’infiniment supérieur. Quand un homme était assez bien posé pour regarder M. Pecksniff du haut de sa grandeur, il ne restait plus à M. Pecksniff que de le regarder avec déférence du fond de son humilité. Que voulez-vous ? c’est un faible commun à tous les grands esprits.

« Je vous dirai ce que vous pouvez faire, si vous voulez, dit Jonas : vous pouvez venir dîner avec nous au Dragon. Nous avons été obligés de nous rendre à Salisbury pour affaires, hier au soir ; et ce matin je l’ai prié de m’amener ici dans sa voiture ; c’est-à-dire pas dans sa voiture à lui, car nous avons versé dedans cette nuit ; mais dans une voiture qu’il a louée, ce qui revient au même. Il faudra vous faire observer, par exemple, qu’il n’est pas accoutumé aux manières communes. Il ne fréquente que ce qu’il y a de mieux.

– C’est quelque jeune gentilhomme qui vous a emprunté de l’argent à bon intérêt, n’est-ce pas ? dit M. Pecksniff en