Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/302

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secouant facétieusement l’index. Je serai charmé de faire connaissance avec ce joyeux muscadin.

– Qui m’a emprunté ? répéta Jonas. Emprunté ! … Quand vous aurez la vingtième partie de sa fortune, vous pourrez vous retirer et vivre de vos rentes ! Nous ne serions pas trop malheureux, si, en réunissant nos fonds, nous pouvions acheter ses meubles, son argenterie et ses tableaux ! M. Montague n’a guère besoin d’emprunter, allez ! Depuis que j’ai eu la chance, voyons ! je vous dirai même l’adresse de devenir actionnaire dans la Compagnie d’assurances dont il est le président, j’ai gagné… peu importe ce que j’ai gagné, dit Jonas, qui parut tout à coup recouvrer sa prudence habituelle ; vous me connaissez assez pour savoir que je ne jase pas de ces choses-là. Mais enfin, suffit, j’ai gagné pas mal, je vous en réponds.

– Vraiment, mon cher Jonas, s’écria M. Pecksniff avec beaucoup de chaleur, un gentleman comme celui-là mérite des égards. Croyez-vous qu’il prît plaisir à visiter l’église ? Ou, s’il a du goût pour les beaux-arts (ce dont je ne doute pas, d’après ce que vous m’avez dit de sa position), je pourrais lui envoyer quelques cartons de dessins. La cathédrale de Salisbury, mon cher Jonas (le mot de cartons et le désir de se produire avec avantage suggérèrent ici à M. Pecksniff sa phraséologie de circonstance), la cathédrale de Salisbury est un édifice rempli d’associations d’idées vénérables, et qui éveille au plus haut degré des émotions élevées. C’est là que nous contemplons l’œuvre des siècles passés. C’est là que nous écoutons les vibrations majestueuses de l’orgue quand nos pas retentissent sous les arceaux sonores. Nous avons des dessins de ce célèbre édifice vu du nord, du sud, de l’est, de l’ouest, du sud-est, du nord-ouest… »

Pendant cette digression, et même pendant tout le dialogue, Jonas, les mains dans ses poches et la tête penchée de côté avec malice, se balançait sur sa chaise. En ce moment il regarda M. Pecksniff avec une si belle expression de ruse qui clignotait dans ses yeux, que ce dernier s’arrêta pour lui demander : « Mais, à propos, je vous ai interrompu ; qu’est-ce que vous alliez me dire ?

– Pardieu ! Pecksniff, répondit-il, c’est bien simple. Si vous me consultiez pour savoir ce que vous devez faire de votre argent, je vous mettrais à même de doubler vos capitaux en un rien de temps. Ce ne serait déjà pas si mauvais de