Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/303

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conserver une chance comme celle-là dans sa famille. Mais vous cachez si bien votre jeu !

– Jonas ! s’écria M. Pecksniff très-ému, je n’ai pas un caractère diplomatique, j’ai le cœur sur la main. La plus grande partie des minimes économies que j’ai accumulées dans le cours d’une carrière qui n’a été, j’espère, ni déloyale ni inutile ; la plus grande partie, dis-je, de mes économies est déjà donnée et léguée (corrigez-moi, mon cher Jonas, si je ne me sers pas des termes techniques), avec des expressions de confiance que je ne veux pas répéter, et en titres dont il est inutile de parler, à une personne que je ne peux, que je ne veux, que je ne dois pas nommer. »

Ici il serra chaleureusement la main de son gendre, comme s’il eût voulu ajouter :

« Dieu vous bénisse ! gardez-le bien soigneusement quand vous l’aurez. »

M. Jonas commença par secouer la tête en riant ; puis il se ravisa et se dit à lui-même : « Non, pas de bêtises ; il ne me dirait pas ce que je veux savoir. » Il exprima donc seulement le désir de faire un tour de promenade, et M. Pecksniff insista pour l’accompagner, disant qu’il déposerait, en passant, sa carte chez M. Montague, pour s’annoncer en quelque sorte lui-même avant le dîner. Ce qu’il fit.

Pendant leur promenade, M. Jonas affecta la même réserve obstinée qui lui avait pris tout à coup dans le cours de la conversation. Comme il ne faisait aucun effort pour persuader M. Pecksniff, et qu’au contraire il était plus bourru et plus grossier encore que d’habitude, ce dernier, loin de soupçonner ses véritables desseins, s’enferra de lui-même. Il est dans la nature d’un fripon de croire que les artifices dont il se sert pour ses propres desseins sont indispensables au succès de toute friponnerie ; et, sachant ce qu’il aurait fait en pareil cas, M. Pecksniff raisonnait ainsi : « Si ce jeune homme avait besoin, dans son intérêt, d’obtenir de moi quelque chose, il serait poli et respectueux. »

Par conséquent, moins Jonas faisait d’accueil à ses demi-mots et à ses questions, plus M. Pecksniff brûlait d’être initié aux mystères dorés qu’on lui avait si vaguement fait entrevoir.

« Pourquoi, disait-il, ces froids secrets, ces égoïstes réticences entre parents ? Qu’est-ce que la vie sans la confiance ? Si l’époux qu’il avait choisi pour sa fille, si l’homme aux bras