Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/304

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duquel il l’avait remise avec tant d’orgueil et d’espoir, avec une joie si profonde et si rayonnante ; si cet homme n’était pas une halte de verdure dans l’aride désert de sa vie, où devait-il chercher cette oasis ? »

M. Pecksniff ne se doutait guère sur quelle halte de verdure il posait le pied en ce moment ! Lorsqu’il disait : « Tout n’est que poussière ici-bas ! » il était loin de prévoir qu’il en ferait si tôt l’expérience !

Petit à petit, avec un air grognon et bourru, joué au naturel (car l’espérance de faire souffrir M. Pecksniff dans sa bourse, cet endroit sensible où il avait été lui-même si cruellement blessé, ajoutait un intérêt infernal aux pièges qu’il était chargé de lui tendre) ; petit à petit, comme à son insu, Jonas souleva à son beau-père un coin du voile qui cachait les perspectives éblouissantes de la Compagnie anglo-bengalaise, plutôt qu’il ne les afficha à ses yeux cupides. Et, toujours sans s’expliquer ouvertement, il laissa M. Pecksniff conclure, s’il le voulait (et il le voulut, cela va sans dire), que, sentant trop bien qu’il n’était pas heureusement doué lui-même sous le rapport de la parole et des manières, il ne serait pas fâché d’avoir l’honneur de présenter à M. Montague quelqu’un qui fût pourvu de ces avantages, pour mieux se faire pardonner ce qui lui manquait de ce côté. « Autrement, grommela-t-il avec humeur, il aurait envoyé son bien-aimé beau-père à tous les diables, avant de le mettre dans sa confidence. »

Bien amorcé de cette manière, M. Pecksniff se présenta à l’heure du dîner dans un état de suavité, de bienveillance, d’enjouement, de politesse et de cordialité, qu’il n’avait peut-être jamais atteint jusque-là. La franchise du gentilhomme campagnard, le goût cultivé de l’artiste, l’indulgente bonhomie de l’homme du monde ; la philanthropie, la modération, la piété, la tolérance, confondues ensemble et adaptées avec flexibilité à n’importe quoi ; tout cela se personnifiait en M. Pecksniff, lorsqu’il échangea une poignée de main avec le grand capitaliste, le prince des spéculateurs.

« Vous êtes le bienvenu, monsieur, dit Pecksniff, dans notre humble village ! Nous sommes des gens simples, des paysans primitifs, monsieur Montague ; mais nous savons apprécier l’honneur de votre visite, j’en prends mon cher gendre à témoin. C’est étrange, continua-t-il en pressant la main de M. Montague presque avec vénération, mais il me semble que je vous connais. Ce front élevé, mon cher Jonas, lui dit M. Pecksniff à