Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/306

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Ils rirent encore de concert ; et M. Pecksniff toujours plus fort que les autres.

Tout ceci était fort agréable. C’était de la familiarité, du naturel, de la franchise ; et M. Pecksniff conservait toujours dans la réunion le rôle d’un mentor indulgent. Les plus grands prodiges culinaires que le Dragon eût jamais accomplis, leur furent servis. Les vins les meilleurs et les plus vieux qui fussent dans les caves du Dragon virent la lumière en cette occasion. Mille riens, qui témoignaient de la fortune et de la position sociale de M. Montague, remontaient continuellement à la surface de la conversation. Tous trois se livraient à une aussi franche gaieté que peuvent le faire trois honnêtes gens. M. Pecksniff, cependant, regrettait que M. Montague eût une opinion si légère de l’humanité et de ses faiblesses. Il était inquiet à ce sujet ; son esprit en était tout préoccupé ; d’une façon ou d’une autre, il y revenait toujours ; il voulait le convertir, disait-il. Chaque fois que M. Montague répétait son axiome, qu’il fallait élever l’édifice de sa fortune sur les faiblesses de l’humanité, et ajoutait avec bonhomie :

« Nous n’en faisons pas d’autres ! »

Chaque fois aussi M. Pecksniff répétait :

« Fi donc ! fi donc ! Je suis bien sûr qu’il n’en est rien. Comment cela se pourrait-il ? »

Et il accentuait toujours davantage ces derniers mots.

La répétition fréquente de cette question badine amena enfin quelques réponses badines de la part de M. Montague. Après une petite guerre de tirailleurs, de côté et d’autre, M. Pecksniff devint grave, presque jusqu’aux larmes. Il demanda à M. Montague la permission de boire à la santé de son jeune parent, M. Jonas, et de le féliciter de l’amitié noble et distinguée dont il était honoré. Cependant il avoua qu’il lui enviait l’avantage de remplir une mission auprès de ses semblables ; car, bien qu’il ne connût qu’imparfaitement le but de l’institution avec laquelle Jonas avait eu l’avantage d’être mis récemment en rapport, il voyait clairement néanmoins qu’elle avait en vue le Bien de l’Humanité. Quant à lui (M. Pecksniff), s’il pouvait y contribuer de son côté, il sentait que chaque soir il poserait sa tête sur son oreiller avec la certitude absolue de s’endormir sur-le-champ.

De cette remarque fortuite (car elle était tout à fait fortuite, et M. Pecksniff l’avait laissé échapper dans l’ingénuité de son âme) à la discussion de la question, comme affaire d’in-