Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/307

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térêt, la transition fut facile. Les livres, les documents, les rapports, les chiffres, les calculs de diverses natures, furent bientôt étalés devant eux ; et, comme ils avaient tous le même objet en vue, ce n’est pas bien étonnant s’ils aboutirent à la même conclusion. Mais pourtant, toutes les fois que M. Montague s’étendait sur les profits de la compagnie, et disait qu’on y ferait de bonnes affaires tant qu’il y aurait des dupes sur la place, M. Pecksniff répondait avec humeur : « Fi donc ! » et peut-être même lui aurait-il adressé des reproches, s’il n’eût été convaincu que M. Montague plaisantait. La preuve que M. Pecksniff en était convaincu, c’est qu’il le répéta plusieurs fois.

Il ne s’était jamais présenté, et peut-être ne se représenterait-il jamais une occasion aussi belle que celle-là, pour le placement d’une somme considérable (les bénéfices devaient être en proportion du capital déposé). La seule époque qui eût été à peu près aussi favorable, était celle où Jonas avait été admis à faire partie de la Compagnie ; ce qui donna de l’humeur à ce dernier, et le disposa à exprimer un doute par-ci, à trouver un défaut par-là, et à conseiller, en bougonnant, à M. Pecksniff, d’y réfléchir encore avant de s’engager. La somme qui devait compléter le droit de propriété à cette entreprise lucrative était presque équivalente à la fortune entière de M. Pecksniff : sans compter pourtant celle de M. Chuzzlewit, qu’il considérait comme de l’argent déposé pour lui à la Banque, et dont la possession le disposait d’autant plus volontiers à lancer à la mer tout son menu fretin pour attraper une baleine comme celle qui voguait dans les eaux de M. Montague. Les rentrées, qui devaient se faire presque immédiatement, étaient considérables. En résumé, M. Pecksniff consentit à devenir le dernier associé-propriétaire de la Compagnie anglo-bengalaise, et prit rendez-vous avec M. Montague pour dîner ensemble, à Salisbury, le surlendemain, afin d’y conclure la négociation.

Il fallut un temps si long pour en arriver là, qu’il était près de minuit lorsque les convives se séparèrent. Quand M. Pecksniff descendit à la porte d’entrée, il y trouva Mme Lupin, qui regardait au dehors.

« Ah ! c’est vous, ma bonne amie, dit-il ; vous n’êtes pas encore couchée ! Vous regardez les astres, mistress Lupin ?

– Quelle belle nuit, monsieur ! Voyez donc toutes ces étoiles.