Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/315

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graisse de bœuf, dit John Westlock ; tandis que le nôtre était fait avec de la farine et des œufs.

– Ah ! bon Dieu ! s’écria Tom. Le nôtre était fait avec de la farine et des œufs, vraiment ? Ha ! ha ! ha ! un pouding de bifteck fait avec de la farine et des œufs ! Mais personne n’ignore ça. C’est l’a b c du pouding. Moi, moi-même, je ne l’aurais pas fait comme cela ! Ha ! ha ! ha ! »

Il n’est pas nécessaire de dire que Tom avait été présent à la confection du pouding, et qu’il avait cru implicitement jusque-là qu’il était fait dans les règles ; mais il était si ravi de pouvoir plaisanter son active petite sœur, qu’il s’arrêta dans Temple-Bar pour rire tout à son aise. Tom ne s’inquiétait pas plus d’être injurié et bousculé par les piétons bourrus, que s’il eût été de bois ; car il continuait à s’écrier avec une bonne humeur croissante : « De la farine et des œufs ! un pouding de bifteck fait avec de la farine et des œufs ! » À la fin John Westlock et Ruth se sauvèrent et le laissèrent épuiser tout seul son hilarité. Quand il parvint à les rattraper au milieu de la foule dont la rue était encombrée, son visage rayonnait de tant de bonhomie et d’affection (la plaisanterie de Tom était toujours affectueuse), qu’il aurait purifié l’air, quand même la porte du Temple eût été, comme au bon vieux temps, ornée d’une rangée de têtes humaines en état de décomposition.

Il y a de bons petits appartements, allez, dans ces coins du Temple où vivent messieurs les célibataires. Ces gaillards-là se plaignent toujours beaucoup de leur isolement ; et avec tout cela, c’est surprenant à quel point ils savent s’entourer de bien être. John devint tout à fait pathétique en parlant de la triste et solitaire vie qu’il menait, et des déplorables arrangements domestiques qu’elle entraînait à sa suite ; mais c’est égal, on voyait bien qu’il ne se laissait manquer de rien. Dans tous les cas, son appartement était la perfection de l’ordre et de la commodité ; et, si John ne se trouvait pas heureux comme ça, ce n’était toujours pas la faute de son établissement domestique.

Il n’eut pas plus tôt fait entrer Tom et sa sœur dans sa plus belle chambre (où, sur la table, se trouvait un joli petit vase de fleurs fraîches qu’il offrit à Ruth, tout comme s’il l’avait attendue, dit Tom) que, saisissant son chapeau, il sortit précipitamment avec la plus énergique activité. Bientôt, par la porte entre-bâillée, on le vit revenir en courant, accompagné d’une matrone au visage empourpré, coiffée d’un chapeau