Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/317

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Non vraiment John ne faisait pas semblant ; il faisait au contraire tout ce qu’il pouvait et, sérieusement, pour leur persuader que, les jours ordinaires, il était aussi triste, aussi solitaire, aussi privé de bien-être que pouvait l’être raisonnablement un malheureux jeune homme comme lui. C’était une triste existence, dit-il ; une existence misérable. Il pensait à se débarrasser de son logement le plus tôt possible ; et même il allait bientôt faire attacher à la porte un écriteau pour le mettre en location.

« Ma foi ! dit Tom Pinch, je ne sais où vous pourriez aller, John, pour être mieux. C’est tout ce que je puis vous dire. Et vous, Ruth, qu’en pensez-vous ? »

Ruth joua avec les cerises qui se trouvaient sur son assiette, et dit qu’il lui semblait que M. Westlock devait être parfaitement heureux, et qu’elle ne doutait pas qu’il ne le fût.

Ah ! petit cœur craintif, palpitant, effarouché, comme elle dit cela timidement !

« Mais vous oubliez ce que vous aviez à raconter, Tom, ce qui est arrivé ce matin, continua-t-elle tout d’un trait.

– C’est vrai, dit Tom. Nous avons tant jasé d’autre chose, que je n’ai pas eu le temps d’y penser. Je vais vous le conter tout de suite, John, de crainte que cela ne me sorte de la tête. »

Tom exposa ce qui s’était passé sur le quai. Son ami en éprouva une grande surprise, et prit tant d’intérêt à ce récit que Tom lui-même en fut étonné. John pensait connaître, dit-il, la vieille dame avec qui ils s’étaient trouvés en conversation ; et il croyait pouvoir affirmer qu’elle se nommait Gamp. Mais quelle était la nature de la missive dont Tom avait été chargé d’une façon si inattendue ? pourquoi l’avait-on choisi pour messager ? que pouvait-il y avoir de commun entre ces différentes personnes ? et quel mystère y avait-il au fond de tout cela ? John n’y pouvait rien comprendre. Tom était bien sûr d’avance que cette affaire l’intéresserait, mais il ne s’était pas attendu à lui voir prendre feu comme cela. John Westlock en était tout préoccupé, même quand Ruth eut quitté la chambre ; plus préoccupé qu’on ne l’est d’un sujet ordinaire de conversation.

« J’aurai une explication avec mon propriétaire, cela va sans dire, fit Tom ; quoique ce soit un singulier homme, fort mystérieux, et peu propre à me fournir le moindre éclaircissement, en admettant même qu’il connût le contenu de la lettre.