Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/319

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lever une pratique ou pour s’inquiéter de la rapide disparition du thé, du sucre, et autres bagatelles de ce genre. Quand Ruth se trouva seule, après le départ du visage empourpré, elle se mit à examiner avec une craintive et charmante curiosité les livres et les bimbelots qui se trouvaient épars sur les meubles ; son attention fut particulièrement attirée vers de jolies allumettes de papier découpé, qui ornaient la cheminée : elle se demanda qui pouvait les avoir faites. Puis sa main tremblante lia ensemble les fleurs du bouquet, et les attacha à son sein, devant la glace, où elle rougissait presque de se voir réfléchie ; puis elle les examina, la tête penchée de côté, tantôt presque décidée à les ôter, tantôt presque décidée à les laisser.

John pour sa part la trouvait charmante : car, lorsqu’il rentra avec Tom pour prendre le thé, il s’assit à côté d’elle comme un homme qui est dans le ravissement. Et quand les tasses à thé eurent été enlevées, et que Tom, assis au piano, se fut perdu au milieu des mélodies qu’il jouait naguère sur l’orgue, John se tint auprès d’elle, à la fenêtre ouverte, regardant les objets qui s’assombrissaient aux lueurs du crépuscule.

Il n’y a pas grand’chose à voir dans Furnival’s-Inn. C’est un endroit ombragé, tranquille, où retentit l’écho des pas de ceux qui y ont des affaires ; c’est même un lieu monotone et triste dans les soirées d’été. Qu’est-ce donc qui lui donna tant de charmes à leurs yeux, qu’ils restèrent à la fenêtre, oubliant la fuite du temps, comme l’oubliait lui-même Tom, le rêveur, pendant que les mélodies qui avaient si souvent consolé son âme flottaient encore autour de lui ? Quelle était donc cette puissance qui donnait à la lumière pâlissante, à l’obscurité croissante, aux étoiles qui commençaient à poindre çà et là, à l’atmosphère du soir, au bourdonnement de la Cité, au timbre même des vieilles horloges d’église, une fascination si exquise que les plus délicieuses régions de la terre n’auraient pu retenir leurs yeux captifs dans une plus douce chaîne ?

Les ténèbres continuaient de s’épaissir, et la chambre devint tout à fait obscure. Pourtant les doigts de Tom erraient toujours sur les touches du piano, et la fenêtre gardait toujours son couple curieux.

À la fin, la main de sa sœur sur son épaule et l’haleine de la jeune fille sur son front réveillèrent Tom de sa rêverie.

« Mon Dieu ! s’écria-t-il en s’arrêtant subitement, je crains bien d’avoir manqué d’égards et de politesse. »