Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/326

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l’épreuve les sentiments d’Auguste ; mais si jamais vous sentiez pour quelqu’un ce que je sentais réellement pour lui, à l’époque même où je lui faisais presque perdre la raison, laissez parler ce sentiment, si cet homme se jette à vos pieds, comme Auguste s’est jeté aux miens. Songez un peu quel coup pour ma sensibilité si je l’avais poussé au suicide, et qu’on l’eût mis dans le journal. »

Ruth avoua que sans doute elle eût été dévorée de remords.

« Des remords ! s’écria miss Pecksniff, charmée de montrer un bon petit repentir qui ne lui coûtait pas grand’chose. Il m’est impossible de vous décrire le remords que j’éprouve en ce moment, même après lui avoir fait réparation en l’acceptant ! Maintenant que, prête à franchir le seuil de la vie conjugale, je suis devenue sérieuse et réfléchie, si je jette un regard rétrospectif sur mon caractère léger, si je me contemple telle que je fus quand j’étais telle que vous êtes à présent, je frémis ! je frémis ! Quelle est la conséquence de ma conduite passée ? Jusqu’à l’instant où Auguste me conduira à l’autel, il n’est pas sûr de moi. J’ai flétri les affections de son cœur, au point qu’il n’est pas sûr de moi ! Je vois ce doute qui pèse sur son esprit et qui ronge son cœur. Quels doivent être les reproches de ma conscience, après avoir réduit là l’homme que j’aime ! »

Ruth essaya d’exprimer à quel point elle était sensible à une confiance si flatteuse et si illimitée ; elle ajouta qu’elle supposait que le mariage se ferait bientôt.

« Le plus tôt possible, répondit miss Pecksniff ; aussitôt que notre maison sera prête. Nous la meublons le plus vite que nous pouvons. »

Dans la même veine de confiance, miss Pecksniff donna à Ruth un inventaire général des articles achetés, de ceux qui ne l’étaient pas encore, de la toilette neuve qu’elle devait porter le jour du mariage ; de la chapelle où la cérémonie devait avoir lieu ; enfin elle passa une heure à lui communiquer en abrégé, à ce qu’elle dit, les premiers et les plus indispensables renseignements sur toutes les questions intéressantes en rapport avec cet événement.

Tandis que ceci se passait à l’arrière-garde, Tom et M. Moddle marchaient devant, bras dessus bras dessous, dans un silence profond que Tom rompit enfin, après avoir cherché pendant longtemps un sujet de conversation assez indifférent pour ne courir aucun risque d’émouvoir le cœur de M. Moddle.