Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/338

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Auguste avait eu comme une velléité faible et maladive de montrer le poing à l’ennemi commun.

« Mon enfant ! venez-vous-en ! cria miss Pecksniff, je vous l’ordonne ! »

Ce cri lui fut arraché par une nouvelle manifestation de la part d’Auguste, qui avait l’air de vouloir retourner sur ses pas pour se colleter avec Jonas. Mais miss Pecksniff tira l’ardent jeune homme, mistress Todgers le poussa par derrière, et tous trois sortirent pêle-mêle avec accompagnement de glapissantes récriminations proférées par miss Pecksniff.

Pendant tout ce temps, Jonas n’avait pas aperçu Tom et sa sœur, qui se trouvaient presque derrière la porte quand il l’avait ouverte. Il s’était assis en leur tournant le dos, et il avait à dessein regardé de l’autre côté de la rue pendant son altercation avec miss Pecksniff, afin que son apparente insouciance accrût l’exaspération de la demoiselle offensée. Sa femme lui dit en hésitant que Tom attendait pour lui parler ; et Tom s’avança.

Il ne se fut pas plus tôt présenté aux regards de Jonas, que ce dernier bondit avec un juron effroyable, saisit sa chaise et la souleva, comme s’il allait s’en servir pour assommer Tom. C’est ce qu’il eût fait, sans aucun doute ; mais l’excès de sa colère et de sa surprise le rendit un instant irrésolu, et donna à Tom, dans son sang-froid, le temps de se faire entendre.

« Vous n’avez nul prétexte pour vous emporter, monsieur, dit Tom. Bien que ce que j’ai à dire ait rapport à vos affaires, je ne les connais pas, et je ne désire pas les connaître. »

Jonas était trop exaspéré pour articuler une parole. Il frappa du pied, tenant d’une main la porte ouverte, et de l’autre faisant signe à Tom de sortir.

« Comme vous ne pouvez supposer, dit Tom, que je sois venu ici pour mon plaisir ou pour me concilier vos bonnes grâces, il m’est parfaitement indifférent que vous me receviez mal, ou que vous me renvoyiez. Écoutez ce que j’ai à vous dire, si vous n’êtes pas un insensé. Je vous ai remis une lettre l’autre jour quand vous étiez sur le point de partir pour l’étranger…

– C’est vrai, voleur ! répondit Jonas. Je vous en payerai un jour le port, et je règlerai notre vieux compte par la même occasion, je vous le jure.

– Bah ! bah ! dit Tom ; épargnez-vous ces paroles grossières