Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/339

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et ces menaces oiseuses. Je veux que vous compreniez bien ceci (non parce que j’ai la crainte que vous me fassiez du mal, ce qui serait une grande faiblesse, en vérité ; mais simplement parce que je préfère n’avoir rien de commun avec vous ni avec ce qui vous concerne) ; je veux que vous compreniez que j’ignore le contenu de cette lettre ; que je ne sais d’où elle vous vient ; que je ne savais même pas que c’était à vous que je dusse la remettre ; et que je l’ai reçue de…

– Par le ciel ! s’écria Jonas, en soulevant sa chaise d’un geste féroce, je vous casserai la tête si vous dites un mot de plus ! »

Comme Tom persistait néanmoins dans son intention, et rouvrait la bouche pour parler, Jonas se précipita sur lui comme un sauvage, et, dans la rapidité et la férocité de cette attaque, il l’eût très-certainement grièvement blessé, désarmé comme l’était Tom, et de plus embarrassé de sa sœur épouvantée qui s’accrochait à son bras, si Merry ne s’était élancée entre eux, en criant à Tom de quitter la maison, pour l’amour du ciel. Le désespoir de cette pauvre femme, la terreur de sa sœur, l’impossibilité de se faire entendre, l’égale impossibilité de résister à mistress Gamp, qui se jeta sur lui comme un lit de plumes, et le força à descendre l’escalier à reculons par la simple pression de son poids, l’emportèrent. Tom secoua de ses pieds la poussière de cette maison sans avoir nommé Nadgett.

Si ce nom avait pu franchir ses lèvres ; si Jonas, dans l’insolence de sa vile nature, ne l’avait pas poussé autrefois à l’acte de courage pour lequel (plus que pour sa dernière offense) il le haïssait avec tant de violence ; si Jonas avait appris, comme il aurait pu l’apprendre par Tom, quel était l’espion qui le surveillait sans qu’il s’en doutât, il se serait arrêté sur la pente fatale qui l’entraînait rapidement à l’exécution d’un crime épouvantable. Mais la fatalité fut son œuvre ; il creusait lui-même l’abîme qui s’entr’ouvrait sous ses pas, et l’obscurité qui, par degrés, l’environnait de tous côtés, était l’ombre de sa vie.

Sa femme avait fermé la porte et s’était jetée à ses pieds. Elle leva les mains vers lui et le supplia de ne pas la maltraiter, car elle n’était intervenue que dans la crainte qu’il n’y eût du sang versé.

« Ah ! c’est comme ça ! dit Jonas en la considérant pendant qu’il cherchait à reprendre haleine. Ce sont là vos amis